lundi 15 octobre 2007

Pub: divertissement nécessaire

Cette réflexion nait d'une observation toute simple: j'écoutais une émission sur demande via mon service de télévision numérique, et j'ai constaté qu'il ne restait plus qu'une seule publicité par pause.

Ça peut sembler anodin, mais c'est quand même une orientation stratégique qui prend la capacité de zapper de l'auditeur en ligne de compte. Les annonceurs ont bien tenté d'être plus divertissants, mais jamais les télédiffuseurs ont eux-mêmes accusé réception de la nouvelle réalité : le support numérique est flexible, peu importe les moyens mis en oeuvre, les auditeurs trouveront des modes de piratage et de contournement de la publicité.

Moins de pubs, plus d'écoute

Cette modification est tellement efficace qu'à plusieurs reprises j'ai préféré écouter la pub que de trouver la télécommande (évidemment embourrée dans les cracs du sofa), appuyer sur l'avance rapide pour sauver 30 sec. et me battre avec elle pour revenir à mon émission sans manquer le retour de la pause. Pour 2 min, tout ça en vaut la peine, pour 30 sec., moins. Bravo...

Un changement de philosophie

La publicité a été depuis ses débuts (en tout cas en Amérique) bâtie dans la répétition. On a longtemps cru qu'en deçà de trois expositions, il s'agissait d'une perte d'argent brute. Merci à des géants comme Albert Lasker et Claude Hopkins, la publicité des années folles était scientifique et devait répondre à des règles établies. La théorie de Scientific Advertising (les règles de Hopkins sont disponibles ici)* établissait des règles strictes du type :

  • Du tiers à la moitié du budget d’une campagne est consacrée au pouvoir de l’image ;
Malgré certaines autres règles pertinentes (i.e. Si vous vendez des soutiens-gorge, faîte complètement abstraction des hommes et des enfants), la grande philosophie de Hopkins est de moins en moins adaptée au contexte dans lequel nous proposons la communication : « une annonce n’est pas faite pour plaire ou divertir. »

Il faut attendre à l'explosion créative de notre industrie, menée par Berbach et ses émules dans les années 60 pour voir apparaître (parfois avec un peu d'excès) l'évaluation qualitative des concepts publicitaires. Nous sommes présentement dans une phase de retour du balancier après les abus de la décennie précédente et les groupes de discussion sont redevenus rois et maîtres. Quand un brand manager avec un MbA et un salaire astronomique ne sait pas quoi faire pour gagner des parts de marchés, il demande à huit parfaits incompétents en marketing de prendre la décision à sa place, pour 100 $ chacun et quelques cafés gratuits. (Je crois en la recherche marketing lorsqu'elle est orientée à chercher des insights et non à déresponsabiliser les décideurs).

La télécommande : premier pas vers le contrôle de l'usager
Non seulement le spectateur a-t-il le choix de zapper la pub, mais en plus les outils technologiques se multiplient pour le rendre encore plus efficace dans sa tâche : TiVo, PVR, DVR, sans parler des applications PC, Linux en tête. Dire que bientôt les annonceurs devront rivaliser de pertinence pour ne pas passer au tordeur du contrôle numérique est un euphémisme. À quand une télévision qui comprendra mieux qui est l'auditeur et lui proposera des publicités adaptées à ses goûts et préférences ? Donc on peut regarder la même émission et recevoir des publicités différentes ? Si elles sont plus pertinentes, serais-je plus enclin à regarder la pub ? À m'identifier pour que les critères de sélection des messages s'améliorent ?

Et le côté Big Brother me direz-vous ? Amazon.ca m'offre déjà une foule de suggestions de livres qui sont ni plus ni moins des publicités flexibles sélectionnées sur la base de mon comportement antérieur et, vous savez quoi, j'aime mieux ça que de me voir pistonner une foule de livres parfaitement adaptés aux goûts de ma tante Ginette.

Madison + Vine
De plus en plus de professionnels du milieu s'entendent pour dire que l'avenir passe par une écoute volontaire des publicités. L'éditeur d'Advertising Age, Scott Donaton a matérialisé le concept de la rencontre nécessaire entre le divertissement et la publicité par l'expression Madison+Vine, le carrefour du boulevard newyorkais des agences de publicité et de l'avenue des studios hollywoodiens. Depuis une chronique sur le site de AdAge, une section dédiée à M+V, en passant par un livre et un blog, Donaton se fait le hérautde cette fusion à valeur ajoutée.

On semble s'être rappeller très récemment que E.T. a fait exploser les ventes de Reese's en 1982 et que les SoapOpera tirent leur nom du placement de produit ménager dès l'aube de la télévision. Si bien que Donaton n'est plus seul, mais on dirait que les exemples moderne de croisement entre la pub et le divertissement sont toujours les mêmes. En effet, depuis plusieurs années on nous repasse le cas des vidéos de BMW. Pourquoi est-ce si difficile d'en trouver d'autre ? Les Trojan Games peut-être ? Le vidéo d'Axe ? Peut-être parce que le ROI de ce type d'opération est difficile à établir ?

L'autre raison, c'est que les exemples les plus probants de cette nouvelle réalité ne sortent ni des départements marketing, ni des agences. Ils viennent des consommateurs eux-mêmes. Des Mentos dans le Coke, en passant par les Têtes à claque, sans oublier tous les spoofs publicitaires disponibles sur YouTube ce sont les « usagers » qui fournissent le contenu et le divertissement. Plus que jamais l'adage rappelant que « votre marque ce n'est pas ce que vous dites, mais bien ce que les consomateurs disent de vous » prend tout son sens.

Les agences et clients s'adaptent
Quand le libre marché impose sa loi au contenu, les défenseurs du système n'ont pas trop le choix de s'adapter. L'offre ne peut plus être poussé indumment. La demande commence à compter et les nouvelles offensives doivent suscuter un intérêt pour éviter le zapping.

L'évolution est commencée... c'est une belle période pour faire de la pub. Les contenus se fondent et la création est media neutral, pour reprendre un buzzword de l'industrie. L'information la plus complète sur ce genre d'offensive à contenu intéressant se trouve sur la toile... Plusieurs blogues recensent les meilleurs (et certains les pires) actions, de part le monde, et en donnent leur appréciation : Vlan, le blog du marketing alternatif, the hidden persuader, the advertainment agency, et combien d'autres...


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* Une traduction française de Scientific Advertising est offerte ici par le blogue de Fabrice Retailleau

mardi 9 octobre 2007

De retour de vacances

Je reprendrai mes activités sur la toile sous peu... après des vacances en Europe centrale fort sympathique.
Ce dernier périple influencera sans doute mes prochains sujets.

L'Ob.Curieux

lundi 17 septembre 2007

Besoin d'aide, amis européens


En attendant de passer à un nouveau sujet, je me demandais si mes conclusions de réappropriation populaire du sport s'appliquent à l'Europe et aux fans de foot ?
Faîtes-vous des pools ? Est-ce que l'amateur moyen trouve que « le foot d'aujourd'hui n'est plus ce qu'il était » ? Est-ce qu'il y a des évidences de réappropriation que j'ai omis ?
Vos commentaires sont les bienvenus...

L'observateur.

mercredi 12 septembre 2007

Louer son identité : la possession temporaire

Dans son livre Futureshop, Daniel Nissanoff propose une idée assez intéressante : la pénétration croissante de eBay et les technologies améliorant la performance des marchés de revente, nous sommes de plus en plus enclin à considérer la valeur résiduelle de nos biens lors de leur choix. C'était déjà le cas dans des industries reconnues pour la valeur du bien usagé (voiture, équipement de sport, etc.) mais ce n'était pas répandu dans le domaine de la mode, des vêtements, des gadgets...

One man's trash is another man's treasure

Ainsi selon la tendance (qui, avouons-le, rejoint les jeunes urbains professionnels aisés financièrement), nous entrerions dans notre calcul et nos choix de consommation la valeur résiduelle d'un bien. Comme le monde de l'automobile nous a habitué à être un "propriétaire-locataire", nous sommes maintenant prêt à appliquer la même équation à nos autres achats.

Prenons un cas hypothétique d'achat de sac à main : la demoiselle à la recherche d'un accessoire de mode lui permettant de véhiculer son statut peut donc opter pour deux types de possession...

  1. Traditionnelle : Évaluer son budget et déterminer le montant qu'elle est prête à attribuer au sac à main. (Supposons 300 $) Choisir le sac à main qui lui rapportera le plus de bons mots et de standing pour ce montant (faite votre propre choix).

  2. Futureshopienne : Estimer la durée moyenne de ses sacs à main – pas tant celle de la durabilité du produit, mais bien la fréquence à laquelle elle sent un envie irrésistible de le changer (Disons un an). Ensuite, regarder quel est le meilleur sac à main qui perdra cette valeur pendant cette période (Disons un super Vuitton acheté 900 $ et revendu 600 $ un an après) *Il ne faut pas oublier la capacité d'acquisition.
Bon, je ne suis pas un spécialiste en sac à main, alors je n'ai vérifié que sommairement les valeurs des sacs neufs et usagés sur eLuxury et eBay, mais le propos demeure le même : de plus en plus de gens aîsés profitent de ce calcul pour augmenter (trading up) la valeur de certains biens en les possédant de façon temporaire. Il s'agit bien du même mécanisme qui permet de louer un véhicule haut de gamme pour la même mentualité que l'achat d'une automobile intermédiaire.

Le retour à la durabilité
C'est bien connu, les électroménagers d'antan avaient des durées de vie impressionnantes... Comment ce fait-il que la technologie et les matériaux s'améliorent sans cesse, mais* que les électroménagers et une partie importante de nos produits domestiques perdent en durée de vie ? Et bien, nous ne sommes pas prêts à mettre la valeur que certains de nos parents et grand-parents attribuaient à leur réfrigérateur... Sans croire que la majorité d'entre-nous allons se mettre à vendre nos réfrigérateurs sur eBay, il demeure que l'ensemble de nos calculs de valeur recommencera à considérer la durabilité. Est-il possible de faire une montre qui aura l'air presque neuve après un an d'utilisation ? Si oui, c'est une valuer ajoutée significative au produit dans le contexte de la propriété temporaire.

L'accélération du cycle de remplacement
Le fait d'amoindrir la facture d'adoption d'une nouvelle génération de technologie contribuera à accélérer le cycle individuel de remplacement. Ainsi, je peux changer du iPod 30gig au 80gig, puis au 160gig, puis au suivant beaucoup plus rapidement en utilisant la valeur résiduelle de l'appareil précédent comme mise de fond sur le suivant. Cette réalité vient démocratiser le groupe des "early adopters", la cible primaire des entreprises tentant de rentabiliser rapidement leurs investissements en R&D. Cette démocratisation vers les autres groupes (les "early followers" par exemple) sera également marquée, grâce à la disponibilité d'une tonne de biens usagés.

L'enjeu de l'appartenance
Une excellente publicité de Ikea mentionnait : « Si vous pleurez pour cette lampe, c'est que vous êtes fou » attaquant l'appartenance que nous avons avec certains de nos biens. Pourquoi tenons-nous à posséder certains objets ? Pourquoi achetons-nous certains livres que nous pourrions facilement emprunter à un collègue ou même à la bibliothèque ?

Une génération de sociologues et anthropologues mentionnent que nous bâtissons notre identité à travers nos possessions, que nous créons notre personnalité étendue (extended self) avec ceux-ci et leurs images. Face à cette nouvelle réalité de possession temporaire, allons-nous être capable de rationaliser nos possessions et de se détacher de biens que nous avons aimé ?

Pourquoi hésitons-nous à jeter une vieille collection que nous n'avons pas entretenue depuis des années ? Pourquoi sommes-nous incapables de se départir de certains objets aujourd'hui inutiles et poussiéreux ?

Puisque notre identité change plus à notre époque qu'auparavant, est-il possible que nous soyons aujourd'hui prêts à louer notre identité ? Si oui, c'est mauvais présage pour l'industrie du tatouage permanent...

mardi 4 septembre 2007

Les sports et la réappropriation populaire

Le sportif de salon moyen est très enclin à décrier la baisse de qualité du sport. « C'est plus comme avant » «On s'ennuie des belles années du Canadiens » « Au moins dans le temps, ils jouaient avec leur coeur », etc. etc. etc.

Alors que la réalité est tout autre (en tout cas dans la plupart des ligues majeures). Les performances ont cru et, avec l'ouverture internationale, les places limitées dans les équipes professionnelles (bien que plus nombreuses) sont convoitées par de plus en plus de joueurs de qualité.

Alors de quoi se plaint l'amateur moyen qui trouve que ce n'est plus comme avant. Il décrie une perte d'appartenance. Il n'y a pas très longtemps, le Canadiens de Montréal alignait encore une très grande majorité de francophones. Aujourd'hui, bien que l'équipe en compte plus que n'importe quelle autre dans le circuit, ses fans plus âgés font rapidement le lien entre les contre-performance de ses vedettes et leurs noms exotiques...

On mélange très facilement l'élitisation du sport (et une plus grande parité entre les athlètes) et le manque de combativité des professionnels. Entre cette perception de manque de travail et l'accusation de ne jouer que pour l'argent, la ligne est facile à franchir.

L'ouverture de la Ligue Nationale de Hockey aux joueurs européens, par exemple, a créé une distance entre le fan et ses vedettes. Non seulement les joueurs ont des noms bourrés de "k", de "r roulés" et se terminent en "ov" une fois sur deux, mais en plus leur style de jeu est différent. Pas moins efficace, mais assurément moins aggressif (à quelques exceptions près). Accepter de regarder le style organisé des russes dans le hockey de la LNH est-il une autre forme d'accomodement raisonnable*?

Une évolution en phase avec la globalisation
Donc les deux problèmes sont les suivants : le sport professionnel à évoluer de telle sorte que le libre marché influence la composition des équipes. Le plafond salarial a changé la fréquence à laquelle un joueur change d'équipe et nous avons de la difficulté à nous associer à des "étrangers" qui ne sont que de passage dans nos équipes fétiches.

Des experts en neuro trouveraient également important de mentionner que la mémoire se construit et est dynamique... Ainsi, une des raisons pour laquelle le hockey du bon vieux temps était meilleur, c'est qu'il s'agissait « Du bon vieux temps ». J'invite les sceptiques à faire comme moi et regarder un match Vintage de temps à autre sur NHL Network... juste pour constater comment notre sport presque-national a évolué.

Alors la question demeure : Comment permettre aux fans de continuer leur histoire d'amour avec leur sport et leurs équipes, malgré cette chute d'appartenance, malgré une évolution naturelle du sport ?

Le pool comme mode de réappropriation
Une des façons de se réapproprier nos sp0rts : le pool entre amateurs. Ainsi, que ce soit pour le hockey, le football, le basketball ou le baseball, il est toujours possible (quoique plus ou moins légal) de parier un peu d'argent et beaucoup d'honneur sur nos joueurs préférés. De cette façon, les joueurs n'ont plus besoin de jouer pour notre club favori ou de provenir de notre région pour mériter notre attention. Le fait de jouer "pour nous" et de contribuer à NOTRE performance au classement les rend dignes de notre intérêt. Ainsi, non seulement les performances de mon équipe favorite sont importantes, mais mes joueurs qui évoluent ailleurs font de moi un amateur de hockey bien plus attentif et intéressé.

Accepter la nostalgie de l'amateur
L'autre façon est de tabler sur ce sentiment de nostalgie. Quoi de mieux que de permettre une réappropriation par l'objet. La LNH a bien réussi en lancant une "sous-marque" Vintage NHL(tm) et l'a partagé avec une multitude de partenaires désirant produire des objets avec l'image classique des équipes ou même à l'effigie des équipes disparues. BudLight, par exemple, a exécuté une populaire promotion autour des casquettes à l'effigie des équipes actuelles et disparues de la LNH.

Même le fan invétéré des Canadiens est tenté de s'acheter un t-shirt des Nordiques, qui ne représentent plus une menace, mais le souvenir du bon vieux temps de la rivalité entre les deux équipes québécoises.


Et sûrement plusieurs autres suggestions des experts marketing, amateurs intéressés et sociologues...

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* Pour les lecteurs non canadiens – vous êtes de plus en plus nombreux – l'accomodement raisonnable est un terme très utilisé dans les médias québécois. Provenant du droit du travail, il peut se définir comme : « L'obligation dans le cas de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, fondée sur la religion ou la croyance, consiste à prendre des mesures raisonnables pour s'entendre avec le plaignant, à moins que cela ne cause une contrainte excessive: en d'autres mots, il s'agit de prendre les mesures qui peuvent être raisonnables pour s'entendre sans que cela n'entrave indûment l'exploitation de l'entreprise de l'employeur et ne lui impose des frais excessifs. » (Comm. Ont. des Droits de la Personne c. Simpsons-Sears, 1985 IIJCan 18) Par ce jugement, le droit à la liberté de religion s'évalue en fonction du détriment pour l'individu versus la somme des détriments pour la collectivité. Ainsi, chez nous, le port du voile à l'école est perçu comme un détriment collectif moindre que le détriment individuel de ne pouvoir respecter sa religion... Il est donc considéré comme un accomodement raisonnable. Je pourrai y revenir si ça vous intéresse. Wikipedia (un outil que je n'aime pas trop cité) fait une rapide énumération des cas qui ont fait les manchettes, voir ici.

mardi 21 août 2007

Le dopage : miroir social ?

Le sportif en quête de dépassement de soi, dopé ou non, ne serait ainsi qu'une métaphore de la modernité qui dans tous les domaines, de la manipulation génétique à la conquête de l'espace, joue avec l'utopie d'une « surhumanité ».
– Vincent Troger (1)
Le sport dans toutes ses facettes est un miroir de notre société. Nous l'avons vu avec la religiosité du sport, la sacralisation des lieux et trophées, l'affrontement comme placebo à la guerre, l'affirmation nationale et identitaire, le tribalisme, etc.

Je questionne maintenant un autre pan du sport que les compétitions internationales (J.O. et Tour de France en tête) ont tôt fait de remettre sur la scène publique : le dopage. On s'insurge aisément devant le dopage qui change le corps en machine. Les AGM (Athlètes génétiquement modifiés) sont visibles, nous n'avons qu'à penser à Ben Johnson, aux trop nombreux cyclistes et aux altérophiles ouest-allemandes pendant la guerre froide. Il est facile de s'indigner devant ces derniers. Mais qu'en est-il des golfeurs qui prennent des relaxant (bêtablocants) pour améliorer leur concentration ? Qu'en est-il des records de Barry Bonds ? Qu'en est-il de la perte de cheveux de José Théodore ?

L'AGM à l'image de notre société ?
D'entrée de jeu il est facile d'attribuer au marchandisage du sport les racines du dopage. Après tout les Mark McGuire et autres machines athlétiques ne gagnent-ils pas des salaires équivalent au PIB de certains pays ? Même les ex-tricheurs publient des mémoires pour arrondir leurs fins de mois.(2) Les tenants de cette explication socio-économique n'auront aucune difficulté à la défendre. On peut même l'adapter à chacun des régimes politiques. Dans un système capitaliste de libre-marché, c'est la demande pour le sport-spectacle qui fournit l'apât financier. Dans les anciens systèmes socialistes, la volonté de propagande (supériorité du régime) contribuait à institutionaliser la pratique du dopage. Et dans un système dictatorial, on pourrait s'adonner au dopage pour assurer qu'une contreperformance ne vienne atteindre à sa vie. Combien de gymnastes chinoises disparaissent ? Combien d'athlètes de l'URSS étaient mystérieusement mutés en Sibérie ?

Face à cette réalité à facettes multiples, on pourrait associer à la reconnaissance du sport comme rôle social le fait que certains décident de pousser plus loin les capacités de leur corps, aider par des substances prohibées. Après tout les champions sont devenus les nouveaux héros modernes dépassant souvent en notoriété les vedettes de cinéma.

Mais considérant le nombre d'athlètes amateurs se créatinant dans les centres d'entraînement publics, considérant que les athlètes des sports ne donnant ni droit à la reconnaisance ni à des bourses intéressantes optent magré tout pour le dopage, il devient difficile d'attribuer uniquement à la pression sociale le phénomène. Il faut prendre le dopage dans une autre perspective. Il s'agit bien d'une compétition pour modeler son corps et dépasser les standards, par contre la question du dopage se pose davantage en terme de sécurité et de santé publique, qu'en terme de tricherie.

Reprenons cette volonté de se dépasser, de gagner. Une analyse mène à comprendre le dopage comme une façon d'assurer une conformité aux valeurs du sport. Cette hyper-conformité sera difficile à mater puisqu'elle sert à réaliser pleinement son identité d'athlète et à demeurer dans le groupe. En plus, les sportifs en viennent à croire que tous les autres se dopent. Il y a un effet pervers quand on se met à croire que seuls les mauvais tricheurs se font prendre.

Ce serait, d'après les travaux de Pigeon, ceux qui ont une faible estime d'eux-mêmes et ceux qui pensent que le sport est leur seul moyen de devenir important (estimé) dans le monde social qui sont les plus enclin à adopter la logique selon laquelle le risque qui accompagne le dopage dissuadera une part des athlètes et contribuera à leur assurer une performance plus compétitive.

Finalement, plus un athlète est convaincu qu'il fait partie de l'élite, plus il en vient à considérer que les règles sont mal adaptées à sa situation. Les gens qui écrivent ces règles ne comprennent pas ce que c'est qu'être un athlète. Cette réaction élitiste est également celle de certains pilotes d'essais, astronautes, politiciens, vedettes de cinéma, etc. Ils finissent par légitimer leurs transgressions des lois par leur différence de statut. Il en va de même dans le sport lorsque l'athlète croit fermement faire partie d'une classe à part.

En effet, le sport est un miroir de notre société... Notre inconfort face au dopage est à l'image de notre relation ambigüe avec l'authenticité. Pourquoi s'insurge-t-on autant ? Parce qu'il contrevient à la règle de l'égalité des chances au départ et compromet notre rêve de société juste et égalitaire. Mais aussi parce que le dopage représente une fausse-performance, vient détruire la relation d'authenticité que l'on éprouve face aux champions. Un magicien ne perd-t-il pas son statut quand on connait le truc ?




Références:
(1) TROGER, Vincent – Sport et dopage : perversion marchande ou rêve de surhumanité – Sciences humaines [Voir ici]
(2) Voir le livre de Jose Canseco – Juiced – ici
Le Dopage : États des lieux sociologiques sous la direction de Patrick Mignon [voir ici]
Dopage et culte de la performance, William Gasparini [voir ici]

mercredi 8 août 2007

Le sport : nouvelle religion des communautés laïques

« S'intéresser au sport contemporain, c'est l'occasion d'examiner les manifestations du corps, les nouveaux rituels, et de réintroduire le vertige et le sacré dans nos sociétés d'ordre et de raison »
– Martine Segalen

La dévotion de certains partisants a frappé l'imaginaire de plusieurs anthropologues à la recherche des rites fondateurs de nos sociétés et en quête du retour de la religion dans notre quotidien. Certains tentent d'expliquer la popularité du sport par notre attrait naturel pour le sacré. La comparaison entre les cérémonies sportives et religieuses est intéressant(1) mais ne dépasse guère l'observation anecdotique. (voir le tableau sympathique proposé par le service de cathéchèse des Églises protestantes d'Alsace et de Lorraine).

Les rites existent-ils toujours ?
On peut trouver plusieurs exemples de déritualisation de notre société : la fin des vêtements "du dimanche", l'élimination des remises de prix dans les institutions scolaires, la participation décroissante à des célébrations religieuses, etc. En plus du religieux, les rites marquant le cycle de vie sont passés de l'univers public à l'univers intime : abolition des veillées mortuaires, perte d'importance des vêtements de deuil, cérémonies de mariage beaucoup plus intimes... Quels sont nos rites contemporains pour la naissance, la puberté, la mort ?

Il est plutôt facile d'identifier des assises de cette déritualisation : individualisme, déconstruction des communautés, laïcisation achevée de notre quotidien, etc. (2) Avec une perte de rituels, peut-on conclure à la désacralisation de nos sociétés ?

Sûrement pas... La place du spirituel est grandissante (on n'a qu'à voir les ventes de The Secret pour s'en convaincre), mais se transforme. Le rituel, par essence, se vit en groupe; c'est ce groupe de référence qui change et donne l'impression de perte de rituels.

Le journaliste Ethan Watter, dans son livre Urban Tribes, explique comment le fait de devoir quitter le foyer pour les études a amené les nouvelles générations à se reconstruire des familles (clan ou tribes) qui reprennent la plupart des fonctions traditionnelles de la famille. L'entraide lors de déménagement, séparation, rénovation, besoin financier vient presque systématiquement des amis. Aussi, les tribus se sont appropriées certaines fêtes importantes du calendrier pour lesquelles les amis prévalent de plus en plus sur la famille. Le cas le plus flagrant : la veille du jour de l'an.

C'est avec ce clan que nous consommons le plus de sport. Est-ce alors une façon de réïntégrer une sacralité dans ces familles adoptives et laïques ?

Le sport : laïc mais pas profane
Pour se convaincre de l'existence de cette sacralité laïque (puisque nous ne sommes pas à un oxymoron près), nous n'avons qu'à voir la vénération des trophées et médailles. Aussi, les lieux deviennent des sanctuaires. Pour les grands amateurs de baseball, Fenway Park c'est le Temple. Feu-Le Forum de Montréal était celui du hockey. Certains stade de foot représentent La Mecque pour les partisans. Suis-je le seul à avoir ressentit un inconfort en entrant dans un stade-sanctuaire pour aller assister à autre chose que le sport vénéré ? Un concert rock n'est-il pas trop profane pour être tenu à Fenway ?

Ainsi, le sport réintroduit une certaine sacralité en plongeant des communauté
s nouvelles et sans historique dans la création de nouveaux rites. Comme le sport est religion neutral, il est le plus petit dénominateur commun et contribue à se débarasser de la gangue religieuse en s'émancipant du "sacré officiel" (religion, morale, patrie) (3)

Un nouveau rempart ?
Quand l'être humain était incapable d'expliquer le monde qui l'entourait, il n'avait pas trop le choix de s'en remettre à un pouvoir suprême. Jared Diamond propose également que les sociétés dont la survie dépendait du climat (agriculture unitaire) s'en remettaient à la seule force qui avait une influence sur la météo : Dieu. Cette religion, avec des préceptes comme « les premiers seront les derniers » contribuait à expliquer l'injustice d'une saison défavorable et les inégalités de la vie en société (grandissantes avec l'arrivée de l'agriculture).

L'amateur de sport moderne trouve un nouveau rempart face aux inégalités sociales de toutes sortes : le spectacle sportif propose une concurrence supposée pure entre deux adversaires qui partent à armes égales. (4) C'est cette égalité devant le sport qui nous permet de tolérer une nouvelle hiérarchisation des gagnants et des perdants, de nouvelles rivalités, alors que la plupart des gens mentionnent souffrir d'une pression à performer, d'une trop grande compétition dans leur vie courante.

Le besoin d'égalité des chances : le dopage et la superstition

Cet aspect est central dans la religiosité du sport : Tous égaux devant les nouveaux dieux. Sans cette égalité des chances au départ, le sport n'a aucun intérêt. Ni pour le participant, ni pour le spectateur. C'est même le moment magique où les protagonistes conjureront le sort et briserons cette égalité initiale qui nous intéresse... Avez-vous déjà tenter de regarder un match en reprise alors que vous connaissiez la marque finale ? Aussi, prendre connaissance du score dans le journal nous donne des nouvelles de notre équipe favorite, mais ne nous permet ni de bâtir notre appartenance au groupe, ni de fêter ou de pleurer la rupture de cette égalité des chance...

Toute atteinte à l'égalité est perçue comme une atteinte à l'intégrité du sport. Comment expliquer sinon notre dégoût face aux champions dopés ? Que comprendre des équipes perdantes et de leurs partisants qui se hissent contre l'arbitrage dans la défaite ?

Dans ce contexte, la performance et la chance feront la différence. C'est sans doute ce besoin de chance qui pousse les athlètes de tous les niveaux à la superstition et aux rituels sacrés dans la pratique de leur discipline. La barbe des séries, le tshirt fétiche, embrasser la pelouse après un but, parler à ses poteaux sont autant de processions
semi-ostentatoires (question de montrer qu'on est pieux) qui cherchent à s'attirer la chance, la faveur du destin. La superstition est au sport ce que la prière est à la religion.

Le rôle du sport
En plus de représenter le culte du corps qui a peu à peu surplanté l'âme ou la morale avec la laïcisation de nos sociétés, le sport a pour fonctions de bâtir les communautés (en offrant des traditions), de contribuer à l'appartenance et à l'identité (en réintroduisant des rituels différenciant les groupes) et de conjurer les inégalités sociales (en mettant en scène un idéal égalitaire). Trois fonctions qui, encore hier, étaient prises en charge par l'Église.

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Prochain post : le sport professionnel, l'argent, l'appartenance et la réappropriation populaire des sports.

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(1) TURPIN, Jean-Philippe – Le sport : une religion décadente Corps et Culture [disponible ici]
(2) LE POGAM, Yves –
Rites du sport et générativité du social – Corps et Culture [disponible ici]
(3) LEIRIS Michel
– Le sacré dans la vie quotidienne – 1979
(4) Le Football nouvelle religion planétaire ?

jeudi 2 août 2007

Les sports : identités, rites et guerres modernes

J’entame une petite série de posts sur le sport et ses dimensions sociales et culturelles. Au nombre des sujets que j’aborderai : construction nationale, rites et mythes, identité collective, guerre, héros, terrorisme, l'argent, le marketing sportif, etc.

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La victoire de l’Irak en final de la Coupe d’Asie a été accompagnée de célébrations massives à Bagdad (voir ici). Comme c’est généralement le cas lors de ces événements, les drapeux nationaux y étaient nombreux. L’équipe irakienne est composée de joueurs sunnites, chiites et kurdes, ce qui constitue un important symbole d'unité dans ce pays, ravagé par les chicanes entre confessions et clans.

Il s'agit d'un autre exemple de l'intégration culturelle par le sport. Le lecteur cynique demandera ce qu'il reste de l'intégration maghrébine à la suite de la victoire des Bleus en 1998 ?


De la performance individuelle à la fierté nationale
On entend souvent des fiers partisants déclarer « on a gagné » au lendemain de la victoire de leur équipe favorite. Même les Québécois les plus indépendantistes se revendiquent des victoires de l’équipe de hockey olympique canadienne. Le sport rejoint vraiment notre fibre identitaire. Le symbole le plus direct de cet état de réceptivité réside dans le fait qu'on chante toujours l'hymne national, même dans les ligues nationales où deux équipes du même pays s'affrontent. Un peu plus et on le chanterait deux fois.

Il ne s'agit pas seulement de conserver des vestiges d'une fierté nationale dans un sport maintenant corrompu et dénaturé par l'argent. Il est plutôt question de conserver une envergure et un prestige que le statut international confère. D'ailleurs les Américains n'ont-ils pas nommé la finale des Ligues majeurs de Base-ball La Série Mondiale. Comme le dirait Eddy Izzard : "It's impressive in a world event that Americans win it every year..."

La fierté sportive a pris l’ampleur des rivalités nationales à l’occasion des J.O. de 1920 quand les Comités olympiques de la vieille Europe ont réclamé (et obtenu) l’exclusion des anciennes puissances centrales (Allemagne et empire Austro-hongrois) en raison de leur position lors de la Grande Guerre. C’est à partir de ce moment que les athlètes sont devenus des représentants de leur nation avant d’être des compétiteurs individuels¹. Cette nouvelle conception a jeté les bases aux compétitions internationales qui ont pris de l’ampleur depuis la période d’entre-deux-guerre et qui ont représenté certaines des plus vives batailles de la guerre froide.


Le sport pour bâtir des pays.
Il n’y a guère plus vif sentiment d’appartenance que lorsqu’on a l’impression qu’un événement concerne tous les membres du clan. Que ses aboutissements sont significatifs et représentent une réussite ou un échec pour la collectivité. Le sport crée ce raliement nécessaire à la construction d’une nation. Le sport sert à se retrouver ensemble... Indépendamment de la culture et de la provenance, le réflexe le plus naturel lors d'une grande victoire nationale, est de sortir célébrer dans la rue. Deux fonctions : se retrouver ensemble et se donner en spectacle (entre partisans et surtout à la face du monde)..

À plusieurs occasions le sport a supplanté les combats armées dans la définition d’une identité nationale ou dans la construction des intérêts collectifs. De véritables révolutions naissent sur les terrains et dans les estrades. Depuis les victoires sur le pays colonisateurs, les revendications de participation de peuples non indépendants (comme les Tchèques, les Slovaques, les Hongrois aux J.O. de 1912) en passant par l’instrumentalisation des événements sportifs à des fins de propagande politique (victoires de l’Italie fasciste à la Coupe du Monde 1934 et 1938; tentative hithlérienne de démontrer la puissance aryenne lors des J.O. de Berlin 1936; etc.)

Le montréalais que je suis pense tout de suite aux émeutes du Forum à saveur nationale et linguistique (bien avant la formulation de revendications indépendantistes québécoises) à la suite de la suspension de Maurice Richard. De façon plus directe, plusieurs historiens se plaisent à désigner la date de formation de la République fédérale allemande à 1954, date de la victoire de l’équipe ouest-allemande à la Coupe du monde, plutôt qu’au moment de sa constitution politique.

Il est à noter que la participation sportive de certains états devance leur réelle autonomie. La Palestine, par exemple, est membre du CIO depuis 1994 et marchait derrière son drapeau à Athènes.


Le sport pour remplacer la guerre
D’un point de vue géopolitique, le sport est une occasions de confronter son pays contre le voisin (nature compétitive de l’humain), sans envoyer à l’abatoire un pan de la plus jeune génération. Aussi, il s’agit d’une rare occasion de tisser des alliances avec des nations amies sans entrer dans des conflits mondiaux.
« Serious sport has nothing to do with fair play. It is bound up with hatred, jealousy, boastfulness, disregard of all rules and sadistic pleasure in witnessing violence. In other words, it is war minus the shooting. »
- George Orwell
D’ailleurs, les Jeux olympiques ont été recréés par Pierre de Coubertin avec la préoccupation d’insuffler un esprit de compétition aux jeunes Français. Cette vision n’était pas désintéressée alors qu’on attribuait la victoire allemande de 1870 à leur extraordinaire préparation physique.

On peut même dire que les J.O. ont été l'un des champs de batailles principal de la guerre froide, avec la rivalité URSS vs US et RFA vs RDA. Il est intéressant de voir qu'en dépit de leur performance olympique, le boc socialiste ne l'a pas remporté. En moins que le communiste ait réussi à tenir plus longtemps à cause de ses démonstrations de supériorité ?

Après s'être boudés mutuellement lors d'Olympiades successives (Moscou 1980 et L.A. 1984), les deux blocs ont vu qu'il n'est pas facile d'entrer les alliés dans des boycotts. Aujourd'hui aucune nation ne se priverait de l'immense théâtre que représentent les J.O. et de ses retombées possibles sur l'unité nationale.

*À suivre bientôt... Rites et mythes dans le sport : notre côté tribal au jeu.
____________
¹ARCHAMBAULT, Fabian – Les significations et les dimensions sociales du sport : Sport et identité nationale – Dans Sport et Société [voir ici]
BONIFACE, Pascal – Géopolitique des Jeux olympiques – Le Monde diplomatique (Août 2004) [voir ici]

vendredi 27 juillet 2007

En attendant mon prochain moment libre

Je néglige un peu mon blog, on est occupé au bureau.
Après quelques
posts sur la collection, je passerai bientôt à d'autres horizons de notre personnalité. Je salue par ailleurs les lecteurs des Jobineries (l'un des blogues de M. Jobin) qui sont nombreux à être venus nous voir...

mardi 24 juillet 2007

Pourquoi la peur encourage-t-elle les comportements à risque ?

Depuis plusieurs années la SAAQ a utilisé l'approche de la peur pour sensibiliser aux dangers de la vitesse et de l'alcool au volant. Autant de publicités mémorables, mais qu'en est-il du résultat ? Et bien nous dénombrons plus de 700 morts sur les routes Québécoises annuellement, et ce nombre est stable (voire connaît une faible croissance) malgré tous les efforts consentis en publicité et en législation.

Alors la question se pose : est-ce que l'approche centrée sur la peur est efficace ?

Les jeunes de 16 à 24 ans représentent 25 % de tous les décès alors qu'ils ne sont que 15 % des conducteurs. Pis encore, ils n'ont besoin que de 7 % des km pour "produire" ce quart de tous les décès. Aussi, 7 morts sur 10 sont des hommes. Nous pouvons assez aisément déduire la cible des communications liées à la sécurité routière: les gars âgés entre 16 et 24 ans. N'importe qui ayant observé les routes un tant soit peu aurait pu arriver à cette cible sans aucun apport statistique, mais c'est bon de confirmer que notre impatience envers les casquettes au volant d'une civic peu civique ne relève pas uniquement du stéréotype.

La question devient donc : est-ce que l'approche centrée sur la peur est efficace pour rejoindre les jeunes hommes ?

Apparemment pas vraiment. Alors que les traditions du marketing et de la psychologie estiment que l'humain fuit le risque de façon général : dans son comportement, dans ses décisions d'achat, sa perception de marques, sa recherche d'information, ses décisions aux jeux d'hasard... la réalité pourrait être tout autre. Cette hypothèse bouscule plusieurs de nos idées sur la sécurité, le confort et, ultimement, l'instinct de survie. Plus récemment, plusieurs travaux ethnographiques (dont ceux de Laviolette) ont démontré que, contre toute attente, l'être humain cherchait de façon naturelle une certaine part de risque dans sa vie. C'est sans doute cette tendance qui justifie la popularité des sports extrêmes, de la conduite rapide, des films prenants, etc.

L'approche ethnographique
Patrick Laviolette, un anthropologue ayant étudié le saut de falaise conclue que le saut (un comportement dangereux en soi) est far more complex than [creation of identity], since it is also about intentional search of freedom through danger.¹ Il mentionne également que ce type d'expérience est en quelque sorte un rite de passage, de l'enfance à "la maturité", de l'insécurité à l'autonomie. Nous serions donc à la recherche de situations de "petits dangers" nous permettant de nous prouver que nous sommes maintenant un homme.

C'est sans doute parce qu'il s'agit d'un raccourci plutôt facile que les hommes établis regardent ses comportements comme des preuves d'immaturité plutôt que de l'inverse. En moins que ce soit par nostalgie...

L'approche psychologique

Une plaquette intéressante de Michel Lacroix, Le Culte de l'émotion, propose une explication sur notre envie de sensations fortes. Des aventures extrêmes à la violence banalisée, en passant par les images à couper le souffle qui sont le pain quotidien des bulletins de nouvelles, nos vies modernes réclament des doses croissantes d'adrénaline. Ce qui ne fait, à la longue, que banaliser les sensations courantes. Lacroix suggère que nous ne savons plus contempler et sentir, nous avons besoin aujourd'hui de frénésie et d'adrénaline.

Par contre, cette analyse devrait mener à un accroissement de la recherche d'adrénaline avec l'âge et non l'inverse. Nos plus jeunes lecteurs diront que si leurs aînés étaient encore capables, il ferait sûrement des sports extrêmes. À la place ils les regardent en HD.

L'approche évolutionniste
Une autre facette de la question vient du merveilleux livre de Jared Diamond, The Third Chimpanzee, qui s'attarde à l'évolution de notre ADN et de notre héritage animal. L'ensemble de son oeuvre tente d'expliquer de quelle façon des millions d'années d'évolution (et de recherche de survie : i.e. transmission des gênes) ont modelé certains comportements. L'infidélité, la façon dont nous choisissons nos partenaires sexuels, la ménopause sont autant de sujets visités par Diamond. Il consacre également un chapitre à une contradiction évolutive notoire : pourquoi le comportement et la physionomie de certains animaux ont-ils évolué de façon à les handicaper et à nuire à leur chance de transmettre leurs gênes ? Il cite à titre d'exemple les oiseaux du paradis mâles qui ont développé au fil des générations une queue pouvant dépassé un mètre, les paons qui ont également évolué vers une queue aussi impressionnante qu'inutile. Avec comme seule fonction biologique d'attirer l'attention des femelles, elle attire également celle des prédateurs. Pourquoi les femelles ne sont-elles pas attirée par un plumage plus discret qui assurerait à leurs descendances un meilleur camouflage ?

C'est un biologiste, Amotz Zahavi qui propose la meilleure explication² : survivre jusqu'à l'âge de la procréation, malgré cet important handicap, devient une preuve de force, de qualité des gênes. Le Principe du Handicap expliquerait pourquoi les femelles choisiraient certains mâles, malgré et en raison du danger dans lequel ils se mettent. Initialement controversée, cette théorie gagne en défenseurs et crédibilité en s'avérant à chaque expérience concrète.

Appliqué à l'humain, ce principe explique mieux pourquoi plusieurs femmes trouvent les comportements à risque (alcool, cigarette, utilisation de drogue, vitesse au volant, sports extrême, etc.) virils et plutôt sexy. N'y a-t-il pas une contradiction à trouver sexy quelqu'un qui risque de se blesser, de nuire à sa reproductivité (l'alcool est un facteur d'impuissance), de se rendre invalide et incapable de participer à la protection et aux tâches du foyer et, ultimement, de mourir ? Et pourtant...

L'héritage de ce principe est aussi perceptible. Chez des civilisations possédant peu de notions de médecine moderne, en plus de la douleur, le risque d'infection faisait du tatouage un comportement à haut risque. Le fait d'y survivre dénotait une force naturelle et sa marque devenait un symbole inaltérable de virilité. Cette association virile aux tatouages, percing, burning de toutes sortes continuent d'exister et sont des signes compris de plusieurs société. Dans le cas du tatouage, la permanence est aussi importante, elle dénote le courage de marquer son corps sans possibilité de revenir en arrière.

Plusieurs travaux ont suivi et tentent toujours de mieux définir ce qui, chez l'humain, représente des exemples de "handicap" sexy. Il est à noter que ces handicaps doivent être suffisamment coûteux, mais ne pas trop compromettre l'existence. Ainsi, pour plusieurs une consommation d'alcool peut être sexy, pour peu, l'usage de cocaïne procurera le même aura. La cigarette n'est-elle pas en train de se déplacer du handicap sexy au handicap déraisonnable ?

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¹Laviolette, Patrick – A Leap of Faith into the Devil's Frying-Pan : Bodily Experiences of Cliff Jumping into Cornish Waters – 2003

² Zahavi, Amortz – Mate selection - a selection for a handicap. – Journal of Theoretical Biology (1975)

dimanche 15 juillet 2007

La collection de citations

Dans nos deux derniers posts, nous avons discuté de la notion de l'original, de la rareté et de la collection comme phénomène de consommation de luxe. Aujourd'hui, je veux pousser un plus loin cette réflexion en relatant une entrevue ethnographique conduite il y a environ un an et demie avec le conservateur d'une collection de plus de 17 000 citations que vous pouvez consulter sur le site Au fil de mes lectures.


La nature de cette collection remet en cause toute la notion de consommation, de possession, d'originalité et de rareté. Comment peut-on se distinguer et donner de la valeur à des citations qui appartiennent au domaine publique et qui se copient avec un simple "pomme-c / pomme-v" ?

La motivation du collectionneur
Bien qu'il s'agisse d'une collection procurant à son propriétaire/conservateur, M. Gilles Jobin, la reconnaissance de son expertise et l'estime des autres colletionneurs et lecteurs, on trouve chez lui une motivation plus profonde et distincte : la mission double de bâtir son identité et de contribuer à la diffusion du savoir. Il mentionne d’ailleurs que les gens qui parcourent sa collection ont une connaissance assez complète de sa personnalité. Il tente de bâtir sa collection à son image et la partager lui procure une fierté certaine.

La tension du réplicable
Les citations, individuellement, ne prennent pas d’espace, sont libres de droit, accessibles, copiables et gratuites. Aussi, le fait que les citations soient des phrases intangibles et accessibles amène une tension par rapport au concept normal de « possession ». Au-delà de la possession, le fait que la collection de M. Jobin soit accessible à tous sur le web ébranle la fixation habituelle de la valeur en fonction de la rareté.

L'abondance du nombre d'items qualifiables (n'importe quelle phrase mise entre guillemets peut devenir une citation) fait en sorte que la collection n'a de valeur que dans son ensemble.
C'est alors qu'entre en jeu la règle procédurale (déjà discuté ici). Pour M. Jobin, cette règle prend la forme suivante : chaque citation de sa collection provient d’un livre qu’il a lu, qu’il a touché et que généralement il possède. Comme pour les collectionneurs d’objets qui prennent plaisir à « chasser » le prochain ajout à la collection , le plaisir de la lecture est central dans la collection de M. Jobin.

Compléter son identité
Il bâtit sa collection de la même façon que les consommateurs achètent des biens hétéroclites, issus de différents magasins, idéalement un peu inaccessibles, assurant leur unicité. Pour M. Jobin, la règle procédurale n'est pas vaine. En effet, le fait qu’il ait lu ces livres, qu'il possède la plupart d'entre-eux, qu’il ait trouvé lui-même les citations contribuent à imposer son caractère à sa collection. La vigueur avec laquelle il continue sa collection, depuis maintenant plus de trente-cinq ans, s’inscrit dans la volonté de « compléter » son identité, de rendre sa collection à l’image de sa personne, complexe, diverse, etc.

La reconnaissance et la postérité
M. Jobin, malgré qu’il n’ait que le début cinquantaine, a parlé plusieurs fois de la mort lors de notre entretien. De sa mort éventuelle, de l’état de sa collection et de la façon dont il espérait pouvoir en effectuer le lègue. Cette éventualité fait resurgir le fait que, à cause de son intangibilité, M. Jobin redoute de ne pouvoir trouver quelqu’un pour recevoir sa collection. Cette possibilité l’inquiète, car cela représenterait un échec pour son œuvre et il redoute qu’une partie importante de son identité sombre dans l’oubli.

La matérialité de certaines autres collections, par exemple ses 5 000 livres, contribue à solutionner cette quête de l’immortalité, alors que les biens ont une valeur financière/matérielle reconnue. Pour M. Jobin, le nirvana de la reconnaissance pour sa collection de livres serait qu’elle soit reprise par la bibliothèque municipale et identifiée à son nom. Cet usage serait totalement en accord avec la volonté de partage du savoir qui est inhérente à la démarche de M. Jobin.

La sanction identifiée comme suprême, soit « la dation avec le buste en marbre du donateur au milieu des œuvres » serait plausible pour la collection de livres, mais n’ait pas envisagé pour la collection de citations. Il préférerait qu'une de ses filles poursuive son œuvre. Il envisage également d’inclure dans son testament l’obligation pour sa succession de payer les frais d’hébergement de son site, pour assurer que la collection, elle, ne meure pas.

En ouvrant la possibilité de léguer sa collection à sa fille, M. Jobin la laisserait poursuivre sa collection sans nécessairement avoir lu les livres, sans que les citations ajoutées ne le représentent pleinement. Cette façon d’adresser l’enjeu de « forgetfulness » amène une tension certaine avec les concepts de rigueur, de lecture personnelle et de choix identitaire qui sont centraux dans la collection pour M. Jobin, et pour la plupart des collectionneurs. Peut-être la peur de tomber dans l’oubli est plus importante que la perte éventuelle d’intégrité de la collection.

*** cet entretien est cité ici avec la permission de M. Jobin, je l'en remercie.

____________
Slater, Jen (2000) Collecting the Real Thing: A Case Study Exploration of Brand Loyalty Enhancement Among Coca-Cola Brand Collectors – Advances in Consumer Research [disponible ici]
Tepper Tian, Bearden & Hunter (2001) – Consumers’ Need for Uniqueness: Scale Development and ValidationJournal of Consumer Research. [disponible ici, $$$]
Belk, Russell W. (1988) – Possessions and the Extended Self Journal of Consumer Research
Marcoux, Jean-Sébastien (2001) – The "Casser Maison" Ritual Journal of Material Culture [disponible ici, $$$]
Laborde-Tastet, Laurent (2005) – Le phénomène de collection chez le consommateur adulte: collections et conventions. – Travail doctorant à l’Université Lyon 3. [disponible ici]

lundi 2 juillet 2007

La notion d'original dans une collection intangible

Nous poursuivons notre périple dans l'univers de la collection en nous intéressant cette fois-ci à la façon dont l'original y prend son sens. (post de la semaine dernière) Depuis la collection de toiles connues, en passant par les vases grecs, sans oublier les pièces de monnaie, les souvenirs de vedettes, les cartes d'hockey, etc. l'original occupe une place prépondérante dans le choix des pièces d'une collection.


Par définition, l'objet de collection fait partie d'une série. Réunir les différents objets de la série devient un projet plus grand que la somme de ses parties. Cette définition de l'objet de collection est mise à mal par l'arrivée d'une multitude d'objets produits en grand nombre et destinés, de première main, à la collection. Ces prêt-à-collectionner (instant collectibles) sont devenus des outils de promotion redoutables pour les restaurants rapides, les éditeurs de livres, les producteurs de films, etc.
« L’objet de la collection n’est plus seulement une antiquité au sens d’un objet patiné, ennobli par le temps, un trésor ancien découvert au fond d’une cave ou d’un grenier mais peut être également un produit neuf, fabriqué spécifiquement dont la fonction première n’est pas l’usage mais la capacité à être collectionné. »
Dans la mesure où des millions d'objets identiques sont disponibles, le but de la collection demeure de compléter la série. Exit alors la création identitaire, le choix des objets en fonction de sa personalité, les collections oeuvre d'une vie. Les prêt-à-collectionner mettent également à dure épreuve la règle procédurale, selon laquelle c'est la façon d'acquérir, de disposer et de concerver un objet qui lui insuffle sa valeur pour la collection – qui entraîne le passage du profane au sacré. Selon cette règle, deux objets complètement identiques pourraient avoir des valeurs différentes dans des collections différentes. Par exemple, pour reprendre l'exemple de la collection de stylo... Est-ce que le stylo d'un hotel chic, produit banal s'il en est un, a la même valeur si le collectionneur n'accepte que les stylos des hôtels où il a séjourné ? Et dans le cadre des primes offertes dans les McDonald's, est-il nécessaire d'avoir manger le Joyeux Festin qui va avec pour collectionner le jouet ?

L'originalité : garantie de rareté
Malgré la théorie traditionnelle selon laquelle l'offre n'est pas influencée par l'inventaire (la disponibilité), la rareté d'un objet le rend plus enviable aux yeux des collectionneurs, en offrant davantage de distinction et contribuant à donner de la valeur à la collection compétitive. C'est pourquoi une balle autographiée par Babe Ruth a pris de la valeur le jour où il est décédé.
Une entreprise peut substituer certains attraits de l'originalité en créant de la rareté. Depuis des produits numérotés jusqu'aux quotas d'achat par personne, plusieurs techniques peuvent venir augmenter la collectionabilité d'un produits courant. L'exemple du Swatch Fever qui a sévit à la fin des années 80 est probant.
« Swatch recognizes this need for closure, encouraging collectors in a 1990 advertisement to "collect all 518." Alternatively, a seminar run by a Swatch dealer advised collectors to concentrate on a particular sub-category such as Chronographs or Scubas. Tension may thus be brought to a manageable level, because the stress of trying to obtain all models may be too much for most collectors and this might discourage them from continuing. » ➃

La collection intangible
L’objet de la collection peut ne pas être un objet au sens physique, mais plutôt une idée, une expérience, une conquête, etc. On peut donc collectionner des sensations fortes (sports extrêmes, aventures…), des voyages (souvent symbolisés néanmoins par des objets ou des cartes postales), des spectacles (dont on garde le billet) voire des relations amoureuses ou sexuelles.

Dans cette collection de l'intangible, comment est-ce que les notions de rareté et d'original s'opèrent-elles ? La règle procédurale prend toute son importance. D'ailleurs, les items les plus durs à acquérir de ces collections intangibles sont ceux dont le collectionneur est le plus fier. En général, le fait qu'il soit difficile de gravir le Matchu Pitchu rend cette expérience encore plus valable dans notre collection d'expérience. Le fait d'avoir attendu 18 heures en ligne pour obtenir des billets de concert ne font qu'augmenter leur valeur à nos yeux.

Il ne s'agit pas seulement d'un résidu judéo-chrétien selon lequel nous devons souffrir pour obtenir une récompense, mais bien d'un rite de passage. En relevant le défi, nous nous montrons à la hauteur et l'exérience peut entrer dans notre collecction. Ces rites de passage servent également à la collection compétitive en donnant une valeur supplémentaire à des objets ou des expériences qui autrement seraient achetable facilement.

J'espère vous revenir sous peu avec mes conclusion à la suite d'une entrevue ethnographique conduite auprès d'un collectionneur de citations... s'il accepte, évidemment.
Y a-t-il quelque chose de moins tangible et offrant moins de garantie qu'une citation ?
Quand le copie-coller est accessible à tous, comment fait-on pour insuffler de la valeur à notre collection ?



________________
➀ EZAN, P. – Le phénomène de collection comme outil à destination des enfantsici, $$$]
➁ DANET & KATRIEL – No two alike: Play and aesthetics in collecting – Play and Culture (1989) cit in Belk (2001); Long & Schiffman (1997)
➂ BELK, R. – Acquiring, possessing, and collecting: fundamental processes in consumer behavior – Marketing theory: Philosophy of science perspective (1982) [livre]
BELK, R. et al. –
Collectors and Collecting – Advances in Consumer research (1988) [disponible ici]
LONG, M. & SCHIFFMAN L. – –Décisions Marketing N°29, (2003) [art. disponible Swatch Fever: An Allegory for Understanding the Paradox of Collecting – Psychology & Marketing (1997) [art. disponible ici, $$$]
LABORDE-TASTET, Laurent – Le phénomène de collection chez le consommateur adulte : collections et conventions – Travail doctoral Lyon 3 (2005) [disponible ici]


jeudi 28 juin 2007

La collection : le luxe des moins nantis

[Note du blogueur : Ce post est un peu plus académique, on prend notre souffle... on y va]


Je poursuis ma réflexion sur l'essor des produits de luxe et je la croise avec mon intérêt pour le phénomène de collection. Et si la collection était une consommation de luxe ?

« Because it involves hunting, searching, or shopping for unique useless objects, collecting is a form of materialistic luxury consumption par excellence [en francais dans le texte original] » Russell W. Belk¹


D'après les estimés, dans les pays occidentaux, une personne sur trois collectionne quelque chose.² [NDB: Si vous trouvez la statistique pour le Québec ou le Canada, merci de me l'envoyer.] Plusieurs d'entre-eux justifient l'achat d'un item dans leur collection par la valeur marchande de leurs nouvelles acquisitions. Cette justification ne passe pas la rampe de l'analyse fonctionnelle et on peut conclure qu'il s'agit d'une auto-légitimation puisque la grande majorité des collectionneurs ne se départissent jamais de leurs joyaux. Il s'agit donc de la même auto-justification que les consommateurs de biens de luxe. J'ai eu ce sac à main / ce téléviseur / ce stylo pour x $ alors qu'il en vaut y.

Belk, le père incontesté de la recherche ethnographique sur le sujet de la collection, ajoute également que « Because collecting is a competitive activity linked to pestige and feelings of competence, there is always something just out of reach that seems infinitely desirable to the collector³. » Cette façon de voir la collection est totalement en lien avec les motivations observées de la consommation des produits de luxe : consommation compétitive, assouvissement du désir et expertise (connoisseurship).

Une lutte avec soit même...
Il y a plusieurs similitudes entre les collectionneurs et les acheteurs de produits de luxe. La notion de plaisir coupable, de relations fantaisistes aux objets et d'indulgence (j'achète celà parce que je le mérite bien) sont très semblables. Un type de culpabilité connue des « acheteurs compulsifs »⁴Aussi, une relative tendance à se déresponsabiliser par rapport à sa consommation : je n0'avais pas le choix; c'est plus fort que moi; c'est une obsession. Le fait que les collections soient socialement acceptables permet aux collectionneurs de se déresponsabiliser sans s'exposer à l'ostracisme souffert par les alcooliques ou les joueurs compulsifs.⁵

Les collections ne naissent pas toutes égales
Alors qu'un riche collectionnant les oeuvres d'art est bien perçu socialement, un moins bien nanti accordant une part de son budget, déjà trop serré, à une collection de BD ou de chats en porcelaine sera perçu comme irrresponsable (moins qu'un alcoolo ou qu'un gambler). Comment nous posons-nous en juge de la valeur d'une collection ? Qui a décidé de la supériorité de l'art sur l'artisanat ? Pourquoi une collection de timbres serait-elle supérieure à une collection exaustive de bouteilles de bière ? Et si le collectionneur de bouteilles a bu chacune de ses bières dans son pays d'origine, lors de voyages autour du monde, est-ce plus noble ? (Nous reviendrons sur la règle procédurale plus loin).

Des passions différentes
Les sujets de collection sont très différents en fonction du sexe du collectionneur. Les relations d'opposition H/F suivantes ont été observées: géant/miniature, fort/fragile, machine/nature, science/art, fonctionnel/decoratif, inanimé/animé, etc.⁶ Ces divergences trouvent écho dans les "modèles" homme-femme généralement admis. La collection (et consommation de luxe) sert à l'individu à se définir et à s'exprimer. Les consommateurs tentent de dépeindre une image d'eux-mêmes par leur choix de biens, il en va de paire pour les collectionneurs. Il est naturel alors d'exprimer une personalité répondant aux stéréotypes de la société qui nous entoure.
* Dans une approche actuelle de la construction identitaire, il serait intéressant de voir comment les outils interactifs et les mondes virtuels (i.e. Second Life) peuvent remplacer ces fonctions. Est-ce qu'on collectionne le linge et les objets dans Second Life ? Est-ce qu'on collectionne les amis sur Facebook ?

La série: un objet unique comme les autres
Pour faire partie d'une collection, l'objet doit trouver la majorité de sa valeur dans sa relation aux autres objets de la série. Par opposition à une montre ou un sac à main qui pourraient être les seuls objets de luxe possédés sans perdre leur contexte et leur valeur, les items d'une collection n'ont d'intérêt que par leur regroupement. C'est à dire qu'une bouteille de Château Margaux 1989 pourrait avoir une valeur aussi importante pour un collectionneur de Bourgogne, un collectionneur de millésimes 1989 (?!?) et même un collection de vin rouge en général, par contre la valeur donner par un simple consommateur cherchant une bonne bouteille pour la boire sera probablement moindre.

La rareté : complexe et mise à mal
La pierre angulaire de la collection et de la consommation d'objets de luxe réside dans la rareté. C'est aussi une des raisons pour laquelle on a tendance à discriminer les collections de babioles au détriment de l'art. Alors qu'ils s'en produit des millions de différents par année, peut-on collectionner les crayons avec autant de ferveur que les tableaux d'art ?

Au cours des 50 dernières années, plusieurs philosophes et chercheurs postmodernes ont jonglé avec la notion de rareté à l'air du produit sériel. Une des syntèses: la règle procédurale selon laquelle c'est la façon d'acquérir l'objet qui lui donne de la valeur pour le collectionneur. Dans ce contexte, est-ce qu'un vendeur qui collectionne les stylos avec lesquels ils signent des contrats de plus de un million rend une collection de crayons plus nobles ? Ça nous ramène au globe-trotteur collectionnant les bouteilles de bière.

La notion de rareté souffre des très nombreuses et croisantes contrefaçons (luxe) et de la reproductivité facile de certains items (collection). Sans oublier la mise en marché de produits destinés à la collection : le prêt-à-collectionner (ou instant collectible) Dans ce contexte, c'est toute la notion de l'original qui est remis en question.

Prochain post : l'importance de l'original dans la collection.



______________________
¹BELK, Russell W. –
Collecting as luxury cnsumption: Effects on individuals and households Journal of Economic Psychology (1995)
² BELK, Russell W. – Collecting in a Consumer Society édité par Susan Pearce (2001).
³ BELK (1995) op cit.
⁴O'GUIN & FABER –
Compulsive buying: A phenomenological exploration Journal of Consumer Research (1989)
⁵ Encore BELK (1995)
⁶ BELK et al. –
Collecting in a Consumer Culture – 1991 in Highways and Buyways : Naturalistic Research From the Consumer Behavior Odyssey; Provo. UT: Association for Consumer Research (Disponible ici)