mercredi 8 août 2007

Le sport : nouvelle religion des communautés laïques

« S'intéresser au sport contemporain, c'est l'occasion d'examiner les manifestations du corps, les nouveaux rituels, et de réintroduire le vertige et le sacré dans nos sociétés d'ordre et de raison »
– Martine Segalen

La dévotion de certains partisants a frappé l'imaginaire de plusieurs anthropologues à la recherche des rites fondateurs de nos sociétés et en quête du retour de la religion dans notre quotidien. Certains tentent d'expliquer la popularité du sport par notre attrait naturel pour le sacré. La comparaison entre les cérémonies sportives et religieuses est intéressant(1) mais ne dépasse guère l'observation anecdotique. (voir le tableau sympathique proposé par le service de cathéchèse des Églises protestantes d'Alsace et de Lorraine).

Les rites existent-ils toujours ?
On peut trouver plusieurs exemples de déritualisation de notre société : la fin des vêtements "du dimanche", l'élimination des remises de prix dans les institutions scolaires, la participation décroissante à des célébrations religieuses, etc. En plus du religieux, les rites marquant le cycle de vie sont passés de l'univers public à l'univers intime : abolition des veillées mortuaires, perte d'importance des vêtements de deuil, cérémonies de mariage beaucoup plus intimes... Quels sont nos rites contemporains pour la naissance, la puberté, la mort ?

Il est plutôt facile d'identifier des assises de cette déritualisation : individualisme, déconstruction des communautés, laïcisation achevée de notre quotidien, etc. (2) Avec une perte de rituels, peut-on conclure à la désacralisation de nos sociétés ?

Sûrement pas... La place du spirituel est grandissante (on n'a qu'à voir les ventes de The Secret pour s'en convaincre), mais se transforme. Le rituel, par essence, se vit en groupe; c'est ce groupe de référence qui change et donne l'impression de perte de rituels.

Le journaliste Ethan Watter, dans son livre Urban Tribes, explique comment le fait de devoir quitter le foyer pour les études a amené les nouvelles générations à se reconstruire des familles (clan ou tribes) qui reprennent la plupart des fonctions traditionnelles de la famille. L'entraide lors de déménagement, séparation, rénovation, besoin financier vient presque systématiquement des amis. Aussi, les tribus se sont appropriées certaines fêtes importantes du calendrier pour lesquelles les amis prévalent de plus en plus sur la famille. Le cas le plus flagrant : la veille du jour de l'an.

C'est avec ce clan que nous consommons le plus de sport. Est-ce alors une façon de réïntégrer une sacralité dans ces familles adoptives et laïques ?

Le sport : laïc mais pas profane
Pour se convaincre de l'existence de cette sacralité laïque (puisque nous ne sommes pas à un oxymoron près), nous n'avons qu'à voir la vénération des trophées et médailles. Aussi, les lieux deviennent des sanctuaires. Pour les grands amateurs de baseball, Fenway Park c'est le Temple. Feu-Le Forum de Montréal était celui du hockey. Certains stade de foot représentent La Mecque pour les partisans. Suis-je le seul à avoir ressentit un inconfort en entrant dans un stade-sanctuaire pour aller assister à autre chose que le sport vénéré ? Un concert rock n'est-il pas trop profane pour être tenu à Fenway ?

Ainsi, le sport réintroduit une certaine sacralité en plongeant des communauté
s nouvelles et sans historique dans la création de nouveaux rites. Comme le sport est religion neutral, il est le plus petit dénominateur commun et contribue à se débarasser de la gangue religieuse en s'émancipant du "sacré officiel" (religion, morale, patrie) (3)

Un nouveau rempart ?
Quand l'être humain était incapable d'expliquer le monde qui l'entourait, il n'avait pas trop le choix de s'en remettre à un pouvoir suprême. Jared Diamond propose également que les sociétés dont la survie dépendait du climat (agriculture unitaire) s'en remettaient à la seule force qui avait une influence sur la météo : Dieu. Cette religion, avec des préceptes comme « les premiers seront les derniers » contribuait à expliquer l'injustice d'une saison défavorable et les inégalités de la vie en société (grandissantes avec l'arrivée de l'agriculture).

L'amateur de sport moderne trouve un nouveau rempart face aux inégalités sociales de toutes sortes : le spectacle sportif propose une concurrence supposée pure entre deux adversaires qui partent à armes égales. (4) C'est cette égalité devant le sport qui nous permet de tolérer une nouvelle hiérarchisation des gagnants et des perdants, de nouvelles rivalités, alors que la plupart des gens mentionnent souffrir d'une pression à performer, d'une trop grande compétition dans leur vie courante.

Le besoin d'égalité des chances : le dopage et la superstition

Cet aspect est central dans la religiosité du sport : Tous égaux devant les nouveaux dieux. Sans cette égalité des chances au départ, le sport n'a aucun intérêt. Ni pour le participant, ni pour le spectateur. C'est même le moment magique où les protagonistes conjureront le sort et briserons cette égalité initiale qui nous intéresse... Avez-vous déjà tenter de regarder un match en reprise alors que vous connaissiez la marque finale ? Aussi, prendre connaissance du score dans le journal nous donne des nouvelles de notre équipe favorite, mais ne nous permet ni de bâtir notre appartenance au groupe, ni de fêter ou de pleurer la rupture de cette égalité des chance...

Toute atteinte à l'égalité est perçue comme une atteinte à l'intégrité du sport. Comment expliquer sinon notre dégoût face aux champions dopés ? Que comprendre des équipes perdantes et de leurs partisants qui se hissent contre l'arbitrage dans la défaite ?

Dans ce contexte, la performance et la chance feront la différence. C'est sans doute ce besoin de chance qui pousse les athlètes de tous les niveaux à la superstition et aux rituels sacrés dans la pratique de leur discipline. La barbe des séries, le tshirt fétiche, embrasser la pelouse après un but, parler à ses poteaux sont autant de processions
semi-ostentatoires (question de montrer qu'on est pieux) qui cherchent à s'attirer la chance, la faveur du destin. La superstition est au sport ce que la prière est à la religion.

Le rôle du sport
En plus de représenter le culte du corps qui a peu à peu surplanté l'âme ou la morale avec la laïcisation de nos sociétés, le sport a pour fonctions de bâtir les communautés (en offrant des traditions), de contribuer à l'appartenance et à l'identité (en réintroduisant des rituels différenciant les groupes) et de conjurer les inégalités sociales (en mettant en scène un idéal égalitaire). Trois fonctions qui, encore hier, étaient prises en charge par l'Église.

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Prochain post : le sport professionnel, l'argent, l'appartenance et la réappropriation populaire des sports.

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(1) TURPIN, Jean-Philippe – Le sport : une religion décadente Corps et Culture [disponible ici]
(2) LE POGAM, Yves –
Rites du sport et générativité du social – Corps et Culture [disponible ici]
(3) LEIRIS Michel
– Le sacré dans la vie quotidienne – 1979
(4) Le Football nouvelle religion planétaire ?

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