Les sports : identités, rites et guerres modernes
J’entame une petite série de posts sur le sport et ses dimensions sociales et culturelles. Au nombre des sujets que j’aborderai : construction nationale, rites et mythes, identité collective, guerre, héros, terrorisme, l'argent, le marketing sportif, etc.
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La victoire de l’Irak en final de la Coupe d’Asie a été accompagnée de célébrations massives à Bagdad (voir ici). Comme c’est généralement le cas lors de ces événements, les drapeux nationaux y étaient nombreux. L’équipe irakienne est composée de joueurs sunnites, chiites et kurdes, ce qui constitue un important symbole d'unité dans ce pays, ravagé par les chicanes entre confessions et clans.
Il s'agit d'un autre exemple de l'intégration culturelle par le sport. Le lecteur cynique demandera ce qu'il reste de l'intégration maghrébine à la suite de la victoire des Bleus en 1998 ?
De la performance individuelle à la fierté nationale
On entend souvent des fiers partisants déclarer « on a gagné » au lendemain de la victoire de leur équipe favorite. Même les Québécois les plus indépendantistes se revendiquent des victoires de l’équipe de hockey olympique canadienne. Le sport rejoint vraiment notre fibre identitaire. Le symbole le plus direct de cet état de réceptivité réside dans le fait qu'on chante toujours l'hymne national, même dans les ligues nationales où deux équipes du même pays s'affrontent. Un peu plus et on le chanterait deux fois.
Il ne s'agit pas seulement de conserver des vestiges d'une fierté nationale dans un sport maintenant corrompu et dénaturé par l'argent. Il est plutôt question de conserver une envergure et un prestige que le statut international confère. D'ailleurs les Américains n'ont-ils pas nommé la finale des Ligues majeurs de Base-ball La Série Mondiale. Comme le dirait Eddy Izzard : "It's impressive in a world event that Americans win it every year..."
La fierté sportive a pris l’ampleur des rivalités nationales à l’occasion des J.O. de 1920 quand les Comités olympiques de la vieille Europe ont réclamé (et obtenu) l’exclusion des anciennes puissances centrales (Allemagne et empire Austro-hongrois) en raison de leur position lors de la Grande Guerre. C’est à partir de ce moment que les athlètes sont devenus des représentants de leur nation avant d’être des compétiteurs individuels¹. Cette nouvelle conception a jeté les bases aux compétitions internationales qui ont pris de l’ampleur depuis la période d’entre-deux-guerre et qui ont représenté certaines des plus vives batailles de la guerre froide.
Le sport pour bâtir des pays.
Il n’y a guère plus vif sentiment d’appartenance que lorsqu’on a l’impression qu’un événement concerne tous les membres du clan. Que ses aboutissements sont significatifs et représentent une réussite ou un échec pour la collectivité. Le sport crée ce raliement nécessaire à la construction d’une nation. Le sport sert à se retrouver ensemble... Indépendamment de la culture et de la provenance, le réflexe le plus naturel lors d'une grande victoire nationale, est de sortir célébrer dans la rue. Deux fonctions : se retrouver ensemble et se donner en spectacle (entre partisans et surtout à la face du monde)..
À plusieurs occasions le sport a supplanté les combats armées dans la définition d’une identité nationale ou dans la construction des intérêts collectifs. De véritables révolutions naissent sur les terrains et dans les estrades. Depuis les victoires sur le pays colonisateurs, les revendications de participation de peuples non indépendants (comme les Tchèques, les Slovaques, les Hongrois aux J.O. de 1912) en passant par l’instrumentalisation des événements sportifs à des fins de propagande politique (victoires de l’Italie fasciste à la Coupe du Monde 1934 et 1938; tentative hithlérienne de démontrer la puissance aryenne lors des J.O. de Berlin 1936; etc.)
Le montréalais que je suis pense tout de suite aux émeutes du Forum à saveur nationale et linguistique (bien avant la formulation de revendications indépendantistes québécoises) à la suite de la suspension de Maurice Richard. De façon plus directe, plusieurs historiens se plaisent à désigner la date de formation de la République fédérale allemande à 1954, date de la victoire de l’équipe ouest-allemande à la Coupe du monde, plutôt qu’au moment de sa constitution politique.
Il est à noter que la participation sportive de certains états devance leur réelle autonomie. La Palestine, par exemple, est membre du CIO depuis 1994 et marchait derrière son drapeau à Athènes.
Le sport pour remplacer la guerre
D’un point de vue géopolitique, le sport est une occasions de confronter son pays contre le voisin (nature compétitive de l’humain), sans envoyer à l’abatoire un pan de la plus jeune génération. Aussi, il s’agit d’une rare occasion de tisser des alliances avec des nations amies sans entrer dans des conflits mondiaux.
D’ailleurs, les Jeux olympiques ont été recréés par Pierre de Coubertin avec la préoccupation d’insuffler un esprit de compétition aux jeunes Français. Cette vision n’était pas désintéressée alors qu’on attribuait la victoire allemande de 1870 à leur extraordinaire préparation physique.« Serious sport has nothing to do with fair play. It is bound up with hatred, jealousy, boastfulness, disregard of all rules and sadistic pleasure in witnessing violence. In other words, it is war minus the shooting. »- George Orwell
On peut même dire que les J.O. ont été l'un des champs de batailles principal de la guerre froide, avec la rivalité URSS vs US et RFA vs RDA. Il est intéressant de voir qu'en dépit de leur performance olympique, le boc socialiste ne l'a pas remporté. En moins que le communiste ait réussi à tenir plus longtemps à cause de ses démonstrations de supériorité ?
Après s'être boudés mutuellement lors d'Olympiades successives (Moscou 1980 et L.A. 1984), les deux blocs ont vu qu'il n'est pas facile d'entrer les alliés dans des boycotts. Aujourd'hui aucune nation ne se priverait de l'immense théâtre que représentent les J.O. et de ses retombées possibles sur l'unité nationale.
*À suivre bientôt... Rites et mythes dans le sport : notre côté tribal au jeu.
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¹ARCHAMBAULT, Fabian – Les significations et les dimensions sociales du sport : Sport et identité nationale – Dans Sport et Société [voir ici]
BONIFACE, Pascal – Géopolitique des Jeux olympiques – Le Monde diplomatique (Août 2004) [voir ici]
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