La collection : le luxe des moins nantis
[Note du blogueur : Ce post est un peu plus académique, on prend notre souffle... on y va]
Je poursuis ma réflexion sur l'essor des produits de luxe et je la croise avec mon intérêt pour le phénomène de collection. Et si la collection était une consommation de luxe ?
« Because it involves hunting, searching, or shopping for unique useless objects, collecting is a form of materialistic luxury consumption par excellence [en francais dans le texte original] » Russell W. Belk¹
D'après les estimés, dans les pays occidentaux, une personne sur trois collectionne quelque chose.² [NDB: Si vous trouvez la statistique pour le Québec ou le Canada, merci de me l'envoyer.] Plusieurs d'entre-eux justifient l'achat d'un item dans leur collection par la valeur marchande de leurs nouvelles acquisitions. Cette justification ne passe pas la rampe de l'analyse fonctionnelle et on peut conclure qu'il s'agit d'une auto-légitimation puisque la grande majorité des collectionneurs ne se départissent jamais de leurs joyaux. Il s'agit donc de la même auto-justification que les consommateurs de biens de luxe. J'ai eu ce sac à main / ce téléviseur / ce stylo pour x $ alors qu'il en vaut y.
Belk, le père incontesté de la recherche ethnographique sur le sujet de la collection, ajoute également que « Because collecting is a competitive activity linked to pestige and feelings of competence, there is always something just out of reach that seems infinitely desirable to the collector³. » Cette façon de voir la collection est totalement en lien avec les motivations observées de la consommation des produits de luxe : consommation compétitive, assouvissement du désir et expertise (connoisseurship).
Belk, le père incontesté de la recherche ethnographique sur le sujet de la collection, ajoute également que « Because collecting is a competitive activity linked to pestige and feelings of competence, there is always something just out of reach that seems infinitely desirable to the collector³. » Cette façon de voir la collection est totalement en lien avec les motivations observées de la consommation des produits de luxe : consommation compétitive, assouvissement du désir et expertise (connoisseurship).
Il y a plusieurs similitudes entre les collectionneurs et les acheteurs de produits de luxe. La notion de plaisir coupable, de relations fantaisistes aux objets et d'indulgence (j'achète celà parce que je le mérite bien) sont très semblables. Un type de culpabilité connue des « acheteurs compulsifs »⁴Aussi, une relative tendance à se déresponsabiliser par rapport à sa consommation : je n0'avais pas le choix; c'est plus fort que moi; c'est une obsession. Le fait que les collections soient socialement acceptables permet aux collectionneurs de se déresponsabiliser sans s'exposer à l'ostracisme souffert par les alcooliques ou les joueurs compulsifs.⁵
Les collections ne naissent pas toutes égales
Alors qu'un riche collectionnant les oeuvres d'art est bien perçu socialement, un moins bien nanti accordant une part de son budget, déjà trop serré, à une collection de BD ou de chats en porcelaine sera perçu comme irrresponsable (moins qu'un alcoolo ou qu'un gambler). Comment nous posons-nous en juge de la valeur d'une collection ? Qui a décidé de la supériorité de l'art sur l'artisanat ? Pourquoi une collection de timbres serait-elle supérieure à une collection exaustive de bouteilles de bière ? Et si le collectionneur de bouteilles a bu chacune de ses bières dans son pays d'origine, lors de voyages autour du monde, est-ce plus noble ? (Nous reviendrons sur la règle procédurale plus loin).
Des passions différentes
Les sujets de collection sont très différents en fonction du sexe du collectionneur. Les relations d'opposition H/F suivantes ont été observées: géant/miniature, fort/fragile, machine/nature, science/art, fonctionnel/decoratif, inanimé/animé, etc.⁶ Ces divergences trouvent écho dans les "modèles" homme-femme généralement admis. La collection (et consommation de luxe) sert à l'individu à se définir et à s'exprimer. Les consommateurs tentent de dépeindre une image d'eux-mêmes par leur choix de biens, il en va de paire pour les collectionneurs. Il est naturel alors d'exprimer une personalité répondant aux stéréotypes de la société qui nous entoure.
* Dans une approche actuelle de la construction identitaire, il serait intéressant de voir comment les outils interactifs et les mondes virtuels (i.e. Second Life) peuvent remplacer ces fonctions. Est-ce qu'on collectionne le linge et les objets dans Second Life ? Est-ce qu'on collectionne les amis sur Facebook ?
Les collections ne naissent pas toutes égales
Alors qu'un riche collectionnant les oeuvres d'art est bien perçu socialement, un moins bien nanti accordant une part de son budget, déjà trop serré, à une collection de BD ou de chats en porcelaine sera perçu comme irrresponsable (moins qu'un alcoolo ou qu'un gambler). Comment nous posons-nous en juge de la valeur d'une collection ? Qui a décidé de la supériorité de l'art sur l'artisanat ? Pourquoi une collection de timbres serait-elle supérieure à une collection exaustive de bouteilles de bière ? Et si le collectionneur de bouteilles a bu chacune de ses bières dans son pays d'origine, lors de voyages autour du monde, est-ce plus noble ? (Nous reviendrons sur la règle procédurale plus loin).
Des passions différentes
Les sujets de collection sont très différents en fonction du sexe du collectionneur. Les relations d'opposition H/F suivantes ont été observées: géant/miniature, fort/fragile, machine/nature, science/art, fonctionnel/decoratif, inanimé/animé, etc.⁶ Ces divergences trouvent écho dans les "modèles" homme-femme généralement admis. La collection (et consommation de luxe) sert à l'individu à se définir et à s'exprimer. Les consommateurs tentent de dépeindre une image d'eux-mêmes par leur choix de biens, il en va de paire pour les collectionneurs. Il est naturel alors d'exprimer une personalité répondant aux stéréotypes de la société qui nous entoure.
* Dans une approche actuelle de la construction identitaire, il serait intéressant de voir comment les outils interactifs et les mondes virtuels (i.e. Second Life) peuvent remplacer ces fonctions. Est-ce qu'on collectionne le linge et les objets dans Second Life ? Est-ce qu'on collectionne les amis sur Facebook ?
Pour faire partie d'une collection, l'objet doit trouver la majorité de sa valeur dans sa relation aux autres objets de la série. Par opposition à une montre ou un sac à main qui pourraient être les seuls objets de luxe possédés sans perdre leur contexte et leur valeur, les items d'une collection n'ont d'intérêt que par leur regroupement. C'est à dire qu'une bouteille de Château Margaux 1989 pourrait avoir une valeur aussi importante pour un collectionneur de Bourgogne, un collectionneur de millésimes 1989 (?!?) et même un collection de vin rouge en général, par contre la valeur donner par un simple consommateur cherchant une bonne bouteille pour la boire sera probablement moindre.
La rareté : complexe et mise à mal
La pierre angulaire de la collection et de la consommation d'objets de luxe réside dans la rareté. C'est aussi une des raisons pour laquelle on a tendance à discriminer les collections de babioles au détriment de l'art. Alors qu'ils s'en produit des millions de différents par année, peut-on collectionner les crayons avec autant de ferveur que les tableaux d'art ?
Au cours des 50 dernières années, plusieurs philosophes et chercheurs postmodernes ont jonglé avec la notion de rareté à l'air du produit sériel. Une des syntèses: la règle procédurale selon laquelle c'est la façon d'acquérir l'objet qui lui donne de la valeur pour le collectionneur. Dans ce contexte, est-ce qu'un vendeur qui collectionne les stylos avec lesquels ils signent des contrats de plus de un million rend une collection de crayons plus nobles ? Ça nous ramène au globe-trotteur collectionnant les bouteilles de bière.
La notion de rareté souffre des très nombreuses et croisantes contrefaçons (luxe) et de la reproductivité facile de certains items (collection). Sans oublier la mise en marché de produits destinés à la collection : le prêt-à-collectionner (ou instant collectible) Dans ce contexte, c'est toute la notion de l'original qui est remis en question.
Prochain post : l'importance de l'original dans la collection.
La rareté : complexe et mise à mal
La pierre angulaire de la collection et de la consommation d'objets de luxe réside dans la rareté. C'est aussi une des raisons pour laquelle on a tendance à discriminer les collections de babioles au détriment de l'art. Alors qu'ils s'en produit des millions de différents par année, peut-on collectionner les crayons avec autant de ferveur que les tableaux d'art ?
Au cours des 50 dernières années, plusieurs philosophes et chercheurs postmodernes ont jonglé avec la notion de rareté à l'air du produit sériel. Une des syntèses: la règle procédurale selon laquelle c'est la façon d'acquérir l'objet qui lui donne de la valeur pour le collectionneur. Dans ce contexte, est-ce qu'un vendeur qui collectionne les stylos avec lesquels ils signent des contrats de plus de un million rend une collection de crayons plus nobles ? Ça nous ramène au globe-trotteur collectionnant les bouteilles de bière.
La notion de rareté souffre des très nombreuses et croisantes contrefaçons (luxe) et de la reproductivité facile de certains items (collection). Sans oublier la mise en marché de produits destinés à la collection : le prêt-à-collectionner (ou instant collectible) Dans ce contexte, c'est toute la notion de l'original qui est remis en question.
Prochain post : l'importance de l'original dans la collection.
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¹BELK, Russell W. – Collecting as luxury cnsumption: Effects on individuals and households – Journal of Economic Psychology (1995)
³ BELK (1995) op cit.
⁴O'GUIN & FABER – Compulsive buying: A phenomenological exploration – Journal of Consumer Research (1989)
⁵ Encore BELK (1995)
⁶ BELK et al. – Collecting in a Consumer Culture – 1991 in Highways and Buyways : Naturalistic Research From the Consumer Behavior Odyssey; Provo. UT: Association for Consumer Research (Disponible ici)
⁴O'GUIN & FABER – Compulsive buying: A phenomenological exploration – Journal of Consumer Research (1989)
⁵ Encore BELK (1995)
⁶ BELK et al. – Collecting in a Consumer Culture – 1991 in Highways and Buyways : Naturalistic Research From the Consumer Behavior Odyssey; Provo. UT: Association for Consumer Research (Disponible ici)
2 commentaires:
Merci pour ce Blog qui présente une réflexion très intéressante.
Je me pose la question de savoir quels sont les vrai déterminants de la valeur d'une collection ?
comme vous l'avez bien expliqué, il y a un aspect subjectif et personnel mais il reste à savoir s'il y en a d'autre variables objectifs à la détermination de la vraie valeur d'une collection.
Bien à vous
Merci Adbel pour ce commentaire.
Pour ce qui est de la valeur des collections, ce concept est au coeur d'un paradoxe : les objets collectionnés ne le sont jamais pour leur valeur d'usage. C'est à dire que la fonctionnalité (qui habituellement fixe la valeur) est secondaire à des impératifs de rareté, d'appréciation des critiques, de complémentarité, etc.
Aussi, Cabannes (2003) fait la différence entre le collectionneur et l'acheteur. Là où l'acheteur achète froidement en fonction de la valeur des pièces et de leur capacité de revente, le collectionneur travaille sur un projet holistique. Il évalue la valeur d'une nouvelle pièce en fonction de l'intérêt qu'elle apporte au tout. Ainsi, un collectionneur peut « investir » significativement dans une pièce sans valeur, mais qui assure sa paternité sur la collection, une pièce qui lui ressemble.
Aussi, Belk (2001) et Pearse (1998) mentionne des différence significative en fonction du sexe. Les hommes collectionnent des objets ayant une valeur intrinsèque (vin, arme à feu, voiture) alors que les femmes prévilégient des pièces commémoratives faisant office de décoration.
En terminant, la valeur d'une collection ne devrait pas être le plus important critère, alors que plus la valeur des objets choisi est grande, plus le collectionneur se retrouve en situation de dissonance. C'est dire que plus le budget accordé à ces objets inutils est grand, plus il est difficile de s'extirper du jugement des autres qui perçoivent la dépense comme frivole, irresponsable, voire narcissique.
J'espère que ça vous aide.
REF :
Belk, R.W (2001), Collecting in a consumer society, edited by Susan Pearce, London: Routledge
Cabannes P (2003), Les grands collectionneurs, Paris : Editions de l’Amateur
Pearce S. (1998), Collecting in contemporary practice, London : Sage
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