mardi 24 juillet 2007

Pourquoi la peur encourage-t-elle les comportements à risque ?

Depuis plusieurs années la SAAQ a utilisé l'approche de la peur pour sensibiliser aux dangers de la vitesse et de l'alcool au volant. Autant de publicités mémorables, mais qu'en est-il du résultat ? Et bien nous dénombrons plus de 700 morts sur les routes Québécoises annuellement, et ce nombre est stable (voire connaît une faible croissance) malgré tous les efforts consentis en publicité et en législation.

Alors la question se pose : est-ce que l'approche centrée sur la peur est efficace ?

Les jeunes de 16 à 24 ans représentent 25 % de tous les décès alors qu'ils ne sont que 15 % des conducteurs. Pis encore, ils n'ont besoin que de 7 % des km pour "produire" ce quart de tous les décès. Aussi, 7 morts sur 10 sont des hommes. Nous pouvons assez aisément déduire la cible des communications liées à la sécurité routière: les gars âgés entre 16 et 24 ans. N'importe qui ayant observé les routes un tant soit peu aurait pu arriver à cette cible sans aucun apport statistique, mais c'est bon de confirmer que notre impatience envers les casquettes au volant d'une civic peu civique ne relève pas uniquement du stéréotype.

La question devient donc : est-ce que l'approche centrée sur la peur est efficace pour rejoindre les jeunes hommes ?

Apparemment pas vraiment. Alors que les traditions du marketing et de la psychologie estiment que l'humain fuit le risque de façon général : dans son comportement, dans ses décisions d'achat, sa perception de marques, sa recherche d'information, ses décisions aux jeux d'hasard... la réalité pourrait être tout autre. Cette hypothèse bouscule plusieurs de nos idées sur la sécurité, le confort et, ultimement, l'instinct de survie. Plus récemment, plusieurs travaux ethnographiques (dont ceux de Laviolette) ont démontré que, contre toute attente, l'être humain cherchait de façon naturelle une certaine part de risque dans sa vie. C'est sans doute cette tendance qui justifie la popularité des sports extrêmes, de la conduite rapide, des films prenants, etc.

L'approche ethnographique
Patrick Laviolette, un anthropologue ayant étudié le saut de falaise conclue que le saut (un comportement dangereux en soi) est far more complex than [creation of identity], since it is also about intentional search of freedom through danger.¹ Il mentionne également que ce type d'expérience est en quelque sorte un rite de passage, de l'enfance à "la maturité", de l'insécurité à l'autonomie. Nous serions donc à la recherche de situations de "petits dangers" nous permettant de nous prouver que nous sommes maintenant un homme.

C'est sans doute parce qu'il s'agit d'un raccourci plutôt facile que les hommes établis regardent ses comportements comme des preuves d'immaturité plutôt que de l'inverse. En moins que ce soit par nostalgie...

L'approche psychologique

Une plaquette intéressante de Michel Lacroix, Le Culte de l'émotion, propose une explication sur notre envie de sensations fortes. Des aventures extrêmes à la violence banalisée, en passant par les images à couper le souffle qui sont le pain quotidien des bulletins de nouvelles, nos vies modernes réclament des doses croissantes d'adrénaline. Ce qui ne fait, à la longue, que banaliser les sensations courantes. Lacroix suggère que nous ne savons plus contempler et sentir, nous avons besoin aujourd'hui de frénésie et d'adrénaline.

Par contre, cette analyse devrait mener à un accroissement de la recherche d'adrénaline avec l'âge et non l'inverse. Nos plus jeunes lecteurs diront que si leurs aînés étaient encore capables, il ferait sûrement des sports extrêmes. À la place ils les regardent en HD.

L'approche évolutionniste
Une autre facette de la question vient du merveilleux livre de Jared Diamond, The Third Chimpanzee, qui s'attarde à l'évolution de notre ADN et de notre héritage animal. L'ensemble de son oeuvre tente d'expliquer de quelle façon des millions d'années d'évolution (et de recherche de survie : i.e. transmission des gênes) ont modelé certains comportements. L'infidélité, la façon dont nous choisissons nos partenaires sexuels, la ménopause sont autant de sujets visités par Diamond. Il consacre également un chapitre à une contradiction évolutive notoire : pourquoi le comportement et la physionomie de certains animaux ont-ils évolué de façon à les handicaper et à nuire à leur chance de transmettre leurs gênes ? Il cite à titre d'exemple les oiseaux du paradis mâles qui ont développé au fil des générations une queue pouvant dépassé un mètre, les paons qui ont également évolué vers une queue aussi impressionnante qu'inutile. Avec comme seule fonction biologique d'attirer l'attention des femelles, elle attire également celle des prédateurs. Pourquoi les femelles ne sont-elles pas attirée par un plumage plus discret qui assurerait à leurs descendances un meilleur camouflage ?

C'est un biologiste, Amotz Zahavi qui propose la meilleure explication² : survivre jusqu'à l'âge de la procréation, malgré cet important handicap, devient une preuve de force, de qualité des gênes. Le Principe du Handicap expliquerait pourquoi les femelles choisiraient certains mâles, malgré et en raison du danger dans lequel ils se mettent. Initialement controversée, cette théorie gagne en défenseurs et crédibilité en s'avérant à chaque expérience concrète.

Appliqué à l'humain, ce principe explique mieux pourquoi plusieurs femmes trouvent les comportements à risque (alcool, cigarette, utilisation de drogue, vitesse au volant, sports extrême, etc.) virils et plutôt sexy. N'y a-t-il pas une contradiction à trouver sexy quelqu'un qui risque de se blesser, de nuire à sa reproductivité (l'alcool est un facteur d'impuissance), de se rendre invalide et incapable de participer à la protection et aux tâches du foyer et, ultimement, de mourir ? Et pourtant...

L'héritage de ce principe est aussi perceptible. Chez des civilisations possédant peu de notions de médecine moderne, en plus de la douleur, le risque d'infection faisait du tatouage un comportement à haut risque. Le fait d'y survivre dénotait une force naturelle et sa marque devenait un symbole inaltérable de virilité. Cette association virile aux tatouages, percing, burning de toutes sortes continuent d'exister et sont des signes compris de plusieurs société. Dans le cas du tatouage, la permanence est aussi importante, elle dénote le courage de marquer son corps sans possibilité de revenir en arrière.

Plusieurs travaux ont suivi et tentent toujours de mieux définir ce qui, chez l'humain, représente des exemples de "handicap" sexy. Il est à noter que ces handicaps doivent être suffisamment coûteux, mais ne pas trop compromettre l'existence. Ainsi, pour plusieurs une consommation d'alcool peut être sexy, pour peu, l'usage de cocaïne procurera le même aura. La cigarette n'est-elle pas en train de se déplacer du handicap sexy au handicap déraisonnable ?

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¹Laviolette, Patrick – A Leap of Faith into the Devil's Frying-Pan : Bodily Experiences of Cliff Jumping into Cornish Waters – 2003

² Zahavi, Amortz – Mate selection - a selection for a handicap. – Journal of Theoretical Biology (1975)

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