vendredi 8 juin 2007

Les parades : le besoin de crier notre différence


Jeudi, j'ai assisté à la parade d'ouverture du Festival St-Ambroise (discret placement de produit) FRINGE. C'est, pour dire le moins, un festival hétéroclythe. Le site web de l'événement explique la prémisse comme suit :

«Les artistes du Fringe sont sélectionnés par une loterie aléatoire, sans critère de contenu ou de qualité. Certains spectacles peuvent être un peu crus, d’autres très bien cuits, et d’autres encore, difficiles à avaler… »
On nous en promet pour tous les goûts et tous les styles. Dans les faits, la parade était un joyeux amalgame de burlesque, bizarre, libertin et de plusieurs curieux qui marchaient de concert avec le band de cornemuse. Il devient rapidement impossible de discerner entre les plus bizarres spectateurs et les plus normaux participants.

Notre différence en spectacle
Il m'apparaît intéressant de se questionner sur la motivation derrière toutes ces parades. Les uns disent célébrer et commémorer, les autres revendiquent, et certains encore veulent récupérer l'espace public.

Mais qu'en est-il ? Jeudi, nous avions bien affaire à une mise en scène de la "différence". La parade par essence se veut une représentation d'un groupe. Il s'agit de choisir qui sera mis en vitrine. Ce spectacle est plus souvent qu'autrement la représentation d'un idéal / d'un stéréotype que le portrait d'une réalité quelconque. Pensons seulement au Défilé de la fierté gaie ou à celui de la St-Patrick... Peut-on dire que les DragQueens soient l'élément le plus représentatif de la réalité homosexuelle ? Et les farfadets sont-ils vraiment Irlandais ? Pourquoi alors faire ces choix ?

Un travail ethnographique m'a amené à Boston pour étudier la construction de l'identité irlandaise pendant les festivités de la St-Patrick*. Cet épisode m'a permis de constater à quel point ces stéréotypes sont des raccourcis permettant de mieux partager une culture, de construire une identité en relation avec les autres:
«The system is one of shared meaning, which are continuously valorized and devalorised, according to the predetermined pattern of classification and ordering constructed by that particular collectivity»
- George Shöpflin (2001)
De façon générale, les auteurs s’entendent sur la nature construite de la culture et sur la façon dont la définition « authentique » ou traditionnelle d’une culture est sujette à un consensus social. L'utilisation des stéréotypes et symboles représente un "packaging" de la culture pour fin de partage. Ça devient un cri de raliement identitaire.

... et les marginaux ?
Cette construction identitaire prévaut également pour des sous-groupes marginaux. De l'orientation sexuelle au burlesque en passant par les marches de soutien à des groupes en marge, nous semblons assister à la même affirmation de la différence... doublée dans certains cas d'un rite de passage, un certain comming out.

Pourquoi est-ce populaire ?
Nous pouvons bien soulever l'importance du sentiment d'appartenance à un groupe (tribalisme) pour expliquer la motivation des gens à participer à une parade, même celles mettant en vitrine des aspects négatifs ou en marge de la société. Par contre, quelle est la motivation des spectateurs à aller assister à cette mise en scène ? Nous n’appartenons plus à notre paroisse, ni à notre ville natale (à cause de la mobilité), nous n’appartenons plus souvent non plus à notre groupe ethnique (pour la plupart)… le fait de pouvoir participer à un événement identitaire permet définitivement d’appartenir, même temporairement, à un groupe et d’épouser des visions différentes, des codes spécifiques, de briser la routine.

Nous reviendrons cette semaine sur le rôle de la consommation dans cette construction de l'appartenance...
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* Cette analyse a été réalisée de concert avec Thomas Allard, Alexandre Forest-Boucher et Nadia Uria Fernandez. Le rapport complet se retrouve ici. Notons que je n'ai aucune participation ou association dans ZesteDesign.


Shöpflin, George (2001) « The construction of identity »; Osterreichischer Wissenschaftstag

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