lundi 15 octobre 2007

Pub: divertissement nécessaire

Cette réflexion nait d'une observation toute simple: j'écoutais une émission sur demande via mon service de télévision numérique, et j'ai constaté qu'il ne restait plus qu'une seule publicité par pause.

Ça peut sembler anodin, mais c'est quand même une orientation stratégique qui prend la capacité de zapper de l'auditeur en ligne de compte. Les annonceurs ont bien tenté d'être plus divertissants, mais jamais les télédiffuseurs ont eux-mêmes accusé réception de la nouvelle réalité : le support numérique est flexible, peu importe les moyens mis en oeuvre, les auditeurs trouveront des modes de piratage et de contournement de la publicité.

Moins de pubs, plus d'écoute

Cette modification est tellement efficace qu'à plusieurs reprises j'ai préféré écouter la pub que de trouver la télécommande (évidemment embourrée dans les cracs du sofa), appuyer sur l'avance rapide pour sauver 30 sec. et me battre avec elle pour revenir à mon émission sans manquer le retour de la pause. Pour 2 min, tout ça en vaut la peine, pour 30 sec., moins. Bravo...

Un changement de philosophie

La publicité a été depuis ses débuts (en tout cas en Amérique) bâtie dans la répétition. On a longtemps cru qu'en deçà de trois expositions, il s'agissait d'une perte d'argent brute. Merci à des géants comme Albert Lasker et Claude Hopkins, la publicité des années folles était scientifique et devait répondre à des règles établies. La théorie de Scientific Advertising (les règles de Hopkins sont disponibles ici)* établissait des règles strictes du type :

  • Du tiers à la moitié du budget d’une campagne est consacrée au pouvoir de l’image ;
Malgré certaines autres règles pertinentes (i.e. Si vous vendez des soutiens-gorge, faîte complètement abstraction des hommes et des enfants), la grande philosophie de Hopkins est de moins en moins adaptée au contexte dans lequel nous proposons la communication : « une annonce n’est pas faite pour plaire ou divertir. »

Il faut attendre à l'explosion créative de notre industrie, menée par Berbach et ses émules dans les années 60 pour voir apparaître (parfois avec un peu d'excès) l'évaluation qualitative des concepts publicitaires. Nous sommes présentement dans une phase de retour du balancier après les abus de la décennie précédente et les groupes de discussion sont redevenus rois et maîtres. Quand un brand manager avec un MbA et un salaire astronomique ne sait pas quoi faire pour gagner des parts de marchés, il demande à huit parfaits incompétents en marketing de prendre la décision à sa place, pour 100 $ chacun et quelques cafés gratuits. (Je crois en la recherche marketing lorsqu'elle est orientée à chercher des insights et non à déresponsabiliser les décideurs).

La télécommande : premier pas vers le contrôle de l'usager
Non seulement le spectateur a-t-il le choix de zapper la pub, mais en plus les outils technologiques se multiplient pour le rendre encore plus efficace dans sa tâche : TiVo, PVR, DVR, sans parler des applications PC, Linux en tête. Dire que bientôt les annonceurs devront rivaliser de pertinence pour ne pas passer au tordeur du contrôle numérique est un euphémisme. À quand une télévision qui comprendra mieux qui est l'auditeur et lui proposera des publicités adaptées à ses goûts et préférences ? Donc on peut regarder la même émission et recevoir des publicités différentes ? Si elles sont plus pertinentes, serais-je plus enclin à regarder la pub ? À m'identifier pour que les critères de sélection des messages s'améliorent ?

Et le côté Big Brother me direz-vous ? Amazon.ca m'offre déjà une foule de suggestions de livres qui sont ni plus ni moins des publicités flexibles sélectionnées sur la base de mon comportement antérieur et, vous savez quoi, j'aime mieux ça que de me voir pistonner une foule de livres parfaitement adaptés aux goûts de ma tante Ginette.

Madison + Vine
De plus en plus de professionnels du milieu s'entendent pour dire que l'avenir passe par une écoute volontaire des publicités. L'éditeur d'Advertising Age, Scott Donaton a matérialisé le concept de la rencontre nécessaire entre le divertissement et la publicité par l'expression Madison+Vine, le carrefour du boulevard newyorkais des agences de publicité et de l'avenue des studios hollywoodiens. Depuis une chronique sur le site de AdAge, une section dédiée à M+V, en passant par un livre et un blog, Donaton se fait le hérautde cette fusion à valeur ajoutée.

On semble s'être rappeller très récemment que E.T. a fait exploser les ventes de Reese's en 1982 et que les SoapOpera tirent leur nom du placement de produit ménager dès l'aube de la télévision. Si bien que Donaton n'est plus seul, mais on dirait que les exemples moderne de croisement entre la pub et le divertissement sont toujours les mêmes. En effet, depuis plusieurs années on nous repasse le cas des vidéos de BMW. Pourquoi est-ce si difficile d'en trouver d'autre ? Les Trojan Games peut-être ? Le vidéo d'Axe ? Peut-être parce que le ROI de ce type d'opération est difficile à établir ?

L'autre raison, c'est que les exemples les plus probants de cette nouvelle réalité ne sortent ni des départements marketing, ni des agences. Ils viennent des consommateurs eux-mêmes. Des Mentos dans le Coke, en passant par les Têtes à claque, sans oublier tous les spoofs publicitaires disponibles sur YouTube ce sont les « usagers » qui fournissent le contenu et le divertissement. Plus que jamais l'adage rappelant que « votre marque ce n'est pas ce que vous dites, mais bien ce que les consomateurs disent de vous » prend tout son sens.

Les agences et clients s'adaptent
Quand le libre marché impose sa loi au contenu, les défenseurs du système n'ont pas trop le choix de s'adapter. L'offre ne peut plus être poussé indumment. La demande commence à compter et les nouvelles offensives doivent suscuter un intérêt pour éviter le zapping.

L'évolution est commencée... c'est une belle période pour faire de la pub. Les contenus se fondent et la création est media neutral, pour reprendre un buzzword de l'industrie. L'information la plus complète sur ce genre d'offensive à contenu intéressant se trouve sur la toile... Plusieurs blogues recensent les meilleurs (et certains les pires) actions, de part le monde, et en donnent leur appréciation : Vlan, le blog du marketing alternatif, the hidden persuader, the advertainment agency, et combien d'autres...


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* Une traduction française de Scientific Advertising est offerte ici par le blogue de Fabrice Retailleau

mardi 9 octobre 2007

De retour de vacances

Je reprendrai mes activités sur la toile sous peu... après des vacances en Europe centrale fort sympathique.
Ce dernier périple influencera sans doute mes prochains sujets.

L'Ob.Curieux

lundi 17 septembre 2007

Besoin d'aide, amis européens


En attendant de passer à un nouveau sujet, je me demandais si mes conclusions de réappropriation populaire du sport s'appliquent à l'Europe et aux fans de foot ?
Faîtes-vous des pools ? Est-ce que l'amateur moyen trouve que « le foot d'aujourd'hui n'est plus ce qu'il était » ? Est-ce qu'il y a des évidences de réappropriation que j'ai omis ?
Vos commentaires sont les bienvenus...

L'observateur.

mercredi 12 septembre 2007

Louer son identité : la possession temporaire

Dans son livre Futureshop, Daniel Nissanoff propose une idée assez intéressante : la pénétration croissante de eBay et les technologies améliorant la performance des marchés de revente, nous sommes de plus en plus enclin à considérer la valeur résiduelle de nos biens lors de leur choix. C'était déjà le cas dans des industries reconnues pour la valeur du bien usagé (voiture, équipement de sport, etc.) mais ce n'était pas répandu dans le domaine de la mode, des vêtements, des gadgets...

One man's trash is another man's treasure

Ainsi selon la tendance (qui, avouons-le, rejoint les jeunes urbains professionnels aisés financièrement), nous entrerions dans notre calcul et nos choix de consommation la valeur résiduelle d'un bien. Comme le monde de l'automobile nous a habitué à être un "propriétaire-locataire", nous sommes maintenant prêt à appliquer la même équation à nos autres achats.

Prenons un cas hypothétique d'achat de sac à main : la demoiselle à la recherche d'un accessoire de mode lui permettant de véhiculer son statut peut donc opter pour deux types de possession...

  1. Traditionnelle : Évaluer son budget et déterminer le montant qu'elle est prête à attribuer au sac à main. (Supposons 300 $) Choisir le sac à main qui lui rapportera le plus de bons mots et de standing pour ce montant (faite votre propre choix).

  2. Futureshopienne : Estimer la durée moyenne de ses sacs à main – pas tant celle de la durabilité du produit, mais bien la fréquence à laquelle elle sent un envie irrésistible de le changer (Disons un an). Ensuite, regarder quel est le meilleur sac à main qui perdra cette valeur pendant cette période (Disons un super Vuitton acheté 900 $ et revendu 600 $ un an après) *Il ne faut pas oublier la capacité d'acquisition.
Bon, je ne suis pas un spécialiste en sac à main, alors je n'ai vérifié que sommairement les valeurs des sacs neufs et usagés sur eLuxury et eBay, mais le propos demeure le même : de plus en plus de gens aîsés profitent de ce calcul pour augmenter (trading up) la valeur de certains biens en les possédant de façon temporaire. Il s'agit bien du même mécanisme qui permet de louer un véhicule haut de gamme pour la même mentualité que l'achat d'une automobile intermédiaire.

Le retour à la durabilité
C'est bien connu, les électroménagers d'antan avaient des durées de vie impressionnantes... Comment ce fait-il que la technologie et les matériaux s'améliorent sans cesse, mais* que les électroménagers et une partie importante de nos produits domestiques perdent en durée de vie ? Et bien, nous ne sommes pas prêts à mettre la valeur que certains de nos parents et grand-parents attribuaient à leur réfrigérateur... Sans croire que la majorité d'entre-nous allons se mettre à vendre nos réfrigérateurs sur eBay, il demeure que l'ensemble de nos calculs de valeur recommencera à considérer la durabilité. Est-il possible de faire une montre qui aura l'air presque neuve après un an d'utilisation ? Si oui, c'est une valuer ajoutée significative au produit dans le contexte de la propriété temporaire.

L'accélération du cycle de remplacement
Le fait d'amoindrir la facture d'adoption d'une nouvelle génération de technologie contribuera à accélérer le cycle individuel de remplacement. Ainsi, je peux changer du iPod 30gig au 80gig, puis au 160gig, puis au suivant beaucoup plus rapidement en utilisant la valeur résiduelle de l'appareil précédent comme mise de fond sur le suivant. Cette réalité vient démocratiser le groupe des "early adopters", la cible primaire des entreprises tentant de rentabiliser rapidement leurs investissements en R&D. Cette démocratisation vers les autres groupes (les "early followers" par exemple) sera également marquée, grâce à la disponibilité d'une tonne de biens usagés.

L'enjeu de l'appartenance
Une excellente publicité de Ikea mentionnait : « Si vous pleurez pour cette lampe, c'est que vous êtes fou » attaquant l'appartenance que nous avons avec certains de nos biens. Pourquoi tenons-nous à posséder certains objets ? Pourquoi achetons-nous certains livres que nous pourrions facilement emprunter à un collègue ou même à la bibliothèque ?

Une génération de sociologues et anthropologues mentionnent que nous bâtissons notre identité à travers nos possessions, que nous créons notre personnalité étendue (extended self) avec ceux-ci et leurs images. Face à cette nouvelle réalité de possession temporaire, allons-nous être capable de rationaliser nos possessions et de se détacher de biens que nous avons aimé ?

Pourquoi hésitons-nous à jeter une vieille collection que nous n'avons pas entretenue depuis des années ? Pourquoi sommes-nous incapables de se départir de certains objets aujourd'hui inutiles et poussiéreux ?

Puisque notre identité change plus à notre époque qu'auparavant, est-il possible que nous soyons aujourd'hui prêts à louer notre identité ? Si oui, c'est mauvais présage pour l'industrie du tatouage permanent...

mardi 4 septembre 2007

Les sports et la réappropriation populaire

Le sportif de salon moyen est très enclin à décrier la baisse de qualité du sport. « C'est plus comme avant » «On s'ennuie des belles années du Canadiens » « Au moins dans le temps, ils jouaient avec leur coeur », etc. etc. etc.

Alors que la réalité est tout autre (en tout cas dans la plupart des ligues majeures). Les performances ont cru et, avec l'ouverture internationale, les places limitées dans les équipes professionnelles (bien que plus nombreuses) sont convoitées par de plus en plus de joueurs de qualité.

Alors de quoi se plaint l'amateur moyen qui trouve que ce n'est plus comme avant. Il décrie une perte d'appartenance. Il n'y a pas très longtemps, le Canadiens de Montréal alignait encore une très grande majorité de francophones. Aujourd'hui, bien que l'équipe en compte plus que n'importe quelle autre dans le circuit, ses fans plus âgés font rapidement le lien entre les contre-performance de ses vedettes et leurs noms exotiques...

On mélange très facilement l'élitisation du sport (et une plus grande parité entre les athlètes) et le manque de combativité des professionnels. Entre cette perception de manque de travail et l'accusation de ne jouer que pour l'argent, la ligne est facile à franchir.

L'ouverture de la Ligue Nationale de Hockey aux joueurs européens, par exemple, a créé une distance entre le fan et ses vedettes. Non seulement les joueurs ont des noms bourrés de "k", de "r roulés" et se terminent en "ov" une fois sur deux, mais en plus leur style de jeu est différent. Pas moins efficace, mais assurément moins aggressif (à quelques exceptions près). Accepter de regarder le style organisé des russes dans le hockey de la LNH est-il une autre forme d'accomodement raisonnable*?

Une évolution en phase avec la globalisation
Donc les deux problèmes sont les suivants : le sport professionnel à évoluer de telle sorte que le libre marché influence la composition des équipes. Le plafond salarial a changé la fréquence à laquelle un joueur change d'équipe et nous avons de la difficulté à nous associer à des "étrangers" qui ne sont que de passage dans nos équipes fétiches.

Des experts en neuro trouveraient également important de mentionner que la mémoire se construit et est dynamique... Ainsi, une des raisons pour laquelle le hockey du bon vieux temps était meilleur, c'est qu'il s'agissait « Du bon vieux temps ». J'invite les sceptiques à faire comme moi et regarder un match Vintage de temps à autre sur NHL Network... juste pour constater comment notre sport presque-national a évolué.

Alors la question demeure : Comment permettre aux fans de continuer leur histoire d'amour avec leur sport et leurs équipes, malgré cette chute d'appartenance, malgré une évolution naturelle du sport ?

Le pool comme mode de réappropriation
Une des façons de se réapproprier nos sp0rts : le pool entre amateurs. Ainsi, que ce soit pour le hockey, le football, le basketball ou le baseball, il est toujours possible (quoique plus ou moins légal) de parier un peu d'argent et beaucoup d'honneur sur nos joueurs préférés. De cette façon, les joueurs n'ont plus besoin de jouer pour notre club favori ou de provenir de notre région pour mériter notre attention. Le fait de jouer "pour nous" et de contribuer à NOTRE performance au classement les rend dignes de notre intérêt. Ainsi, non seulement les performances de mon équipe favorite sont importantes, mais mes joueurs qui évoluent ailleurs font de moi un amateur de hockey bien plus attentif et intéressé.

Accepter la nostalgie de l'amateur
L'autre façon est de tabler sur ce sentiment de nostalgie. Quoi de mieux que de permettre une réappropriation par l'objet. La LNH a bien réussi en lancant une "sous-marque" Vintage NHL(tm) et l'a partagé avec une multitude de partenaires désirant produire des objets avec l'image classique des équipes ou même à l'effigie des équipes disparues. BudLight, par exemple, a exécuté une populaire promotion autour des casquettes à l'effigie des équipes actuelles et disparues de la LNH.

Même le fan invétéré des Canadiens est tenté de s'acheter un t-shirt des Nordiques, qui ne représentent plus une menace, mais le souvenir du bon vieux temps de la rivalité entre les deux équipes québécoises.


Et sûrement plusieurs autres suggestions des experts marketing, amateurs intéressés et sociologues...

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* Pour les lecteurs non canadiens – vous êtes de plus en plus nombreux – l'accomodement raisonnable est un terme très utilisé dans les médias québécois. Provenant du droit du travail, il peut se définir comme : « L'obligation dans le cas de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, fondée sur la religion ou la croyance, consiste à prendre des mesures raisonnables pour s'entendre avec le plaignant, à moins que cela ne cause une contrainte excessive: en d'autres mots, il s'agit de prendre les mesures qui peuvent être raisonnables pour s'entendre sans que cela n'entrave indûment l'exploitation de l'entreprise de l'employeur et ne lui impose des frais excessifs. » (Comm. Ont. des Droits de la Personne c. Simpsons-Sears, 1985 IIJCan 18) Par ce jugement, le droit à la liberté de religion s'évalue en fonction du détriment pour l'individu versus la somme des détriments pour la collectivité. Ainsi, chez nous, le port du voile à l'école est perçu comme un détriment collectif moindre que le détriment individuel de ne pouvoir respecter sa religion... Il est donc considéré comme un accomodement raisonnable. Je pourrai y revenir si ça vous intéresse. Wikipedia (un outil que je n'aime pas trop cité) fait une rapide énumération des cas qui ont fait les manchettes, voir ici.

mardi 21 août 2007

Le dopage : miroir social ?

Le sportif en quête de dépassement de soi, dopé ou non, ne serait ainsi qu'une métaphore de la modernité qui dans tous les domaines, de la manipulation génétique à la conquête de l'espace, joue avec l'utopie d'une « surhumanité ».
– Vincent Troger (1)
Le sport dans toutes ses facettes est un miroir de notre société. Nous l'avons vu avec la religiosité du sport, la sacralisation des lieux et trophées, l'affrontement comme placebo à la guerre, l'affirmation nationale et identitaire, le tribalisme, etc.

Je questionne maintenant un autre pan du sport que les compétitions internationales (J.O. et Tour de France en tête) ont tôt fait de remettre sur la scène publique : le dopage. On s'insurge aisément devant le dopage qui change le corps en machine. Les AGM (Athlètes génétiquement modifiés) sont visibles, nous n'avons qu'à penser à Ben Johnson, aux trop nombreux cyclistes et aux altérophiles ouest-allemandes pendant la guerre froide. Il est facile de s'indigner devant ces derniers. Mais qu'en est-il des golfeurs qui prennent des relaxant (bêtablocants) pour améliorer leur concentration ? Qu'en est-il des records de Barry Bonds ? Qu'en est-il de la perte de cheveux de José Théodore ?

L'AGM à l'image de notre société ?
D'entrée de jeu il est facile d'attribuer au marchandisage du sport les racines du dopage. Après tout les Mark McGuire et autres machines athlétiques ne gagnent-ils pas des salaires équivalent au PIB de certains pays ? Même les ex-tricheurs publient des mémoires pour arrondir leurs fins de mois.(2) Les tenants de cette explication socio-économique n'auront aucune difficulté à la défendre. On peut même l'adapter à chacun des régimes politiques. Dans un système capitaliste de libre-marché, c'est la demande pour le sport-spectacle qui fournit l'apât financier. Dans les anciens systèmes socialistes, la volonté de propagande (supériorité du régime) contribuait à institutionaliser la pratique du dopage. Et dans un système dictatorial, on pourrait s'adonner au dopage pour assurer qu'une contreperformance ne vienne atteindre à sa vie. Combien de gymnastes chinoises disparaissent ? Combien d'athlètes de l'URSS étaient mystérieusement mutés en Sibérie ?

Face à cette réalité à facettes multiples, on pourrait associer à la reconnaissance du sport comme rôle social le fait que certains décident de pousser plus loin les capacités de leur corps, aider par des substances prohibées. Après tout les champions sont devenus les nouveaux héros modernes dépassant souvent en notoriété les vedettes de cinéma.

Mais considérant le nombre d'athlètes amateurs se créatinant dans les centres d'entraînement publics, considérant que les athlètes des sports ne donnant ni droit à la reconnaisance ni à des bourses intéressantes optent magré tout pour le dopage, il devient difficile d'attribuer uniquement à la pression sociale le phénomène. Il faut prendre le dopage dans une autre perspective. Il s'agit bien d'une compétition pour modeler son corps et dépasser les standards, par contre la question du dopage se pose davantage en terme de sécurité et de santé publique, qu'en terme de tricherie.

Reprenons cette volonté de se dépasser, de gagner. Une analyse mène à comprendre le dopage comme une façon d'assurer une conformité aux valeurs du sport. Cette hyper-conformité sera difficile à mater puisqu'elle sert à réaliser pleinement son identité d'athlète et à demeurer dans le groupe. En plus, les sportifs en viennent à croire que tous les autres se dopent. Il y a un effet pervers quand on se met à croire que seuls les mauvais tricheurs se font prendre.

Ce serait, d'après les travaux de Pigeon, ceux qui ont une faible estime d'eux-mêmes et ceux qui pensent que le sport est leur seul moyen de devenir important (estimé) dans le monde social qui sont les plus enclin à adopter la logique selon laquelle le risque qui accompagne le dopage dissuadera une part des athlètes et contribuera à leur assurer une performance plus compétitive.

Finalement, plus un athlète est convaincu qu'il fait partie de l'élite, plus il en vient à considérer que les règles sont mal adaptées à sa situation. Les gens qui écrivent ces règles ne comprennent pas ce que c'est qu'être un athlète. Cette réaction élitiste est également celle de certains pilotes d'essais, astronautes, politiciens, vedettes de cinéma, etc. Ils finissent par légitimer leurs transgressions des lois par leur différence de statut. Il en va de même dans le sport lorsque l'athlète croit fermement faire partie d'une classe à part.

En effet, le sport est un miroir de notre société... Notre inconfort face au dopage est à l'image de notre relation ambigüe avec l'authenticité. Pourquoi s'insurge-t-on autant ? Parce qu'il contrevient à la règle de l'égalité des chances au départ et compromet notre rêve de société juste et égalitaire. Mais aussi parce que le dopage représente une fausse-performance, vient détruire la relation d'authenticité que l'on éprouve face aux champions. Un magicien ne perd-t-il pas son statut quand on connait le truc ?




Références:
(1) TROGER, Vincent – Sport et dopage : perversion marchande ou rêve de surhumanité – Sciences humaines [Voir ici]
(2) Voir le livre de Jose Canseco – Juiced – ici
Le Dopage : États des lieux sociologiques sous la direction de Patrick Mignon [voir ici]
Dopage et culte de la performance, William Gasparini [voir ici]

mercredi 8 août 2007

Le sport : nouvelle religion des communautés laïques

« S'intéresser au sport contemporain, c'est l'occasion d'examiner les manifestations du corps, les nouveaux rituels, et de réintroduire le vertige et le sacré dans nos sociétés d'ordre et de raison »
– Martine Segalen

La dévotion de certains partisants a frappé l'imaginaire de plusieurs anthropologues à la recherche des rites fondateurs de nos sociétés et en quête du retour de la religion dans notre quotidien. Certains tentent d'expliquer la popularité du sport par notre attrait naturel pour le sacré. La comparaison entre les cérémonies sportives et religieuses est intéressant(1) mais ne dépasse guère l'observation anecdotique. (voir le tableau sympathique proposé par le service de cathéchèse des Églises protestantes d'Alsace et de Lorraine).

Les rites existent-ils toujours ?
On peut trouver plusieurs exemples de déritualisation de notre société : la fin des vêtements "du dimanche", l'élimination des remises de prix dans les institutions scolaires, la participation décroissante à des célébrations religieuses, etc. En plus du religieux, les rites marquant le cycle de vie sont passés de l'univers public à l'univers intime : abolition des veillées mortuaires, perte d'importance des vêtements de deuil, cérémonies de mariage beaucoup plus intimes... Quels sont nos rites contemporains pour la naissance, la puberté, la mort ?

Il est plutôt facile d'identifier des assises de cette déritualisation : individualisme, déconstruction des communautés, laïcisation achevée de notre quotidien, etc. (2) Avec une perte de rituels, peut-on conclure à la désacralisation de nos sociétés ?

Sûrement pas... La place du spirituel est grandissante (on n'a qu'à voir les ventes de The Secret pour s'en convaincre), mais se transforme. Le rituel, par essence, se vit en groupe; c'est ce groupe de référence qui change et donne l'impression de perte de rituels.

Le journaliste Ethan Watter, dans son livre Urban Tribes, explique comment le fait de devoir quitter le foyer pour les études a amené les nouvelles générations à se reconstruire des familles (clan ou tribes) qui reprennent la plupart des fonctions traditionnelles de la famille. L'entraide lors de déménagement, séparation, rénovation, besoin financier vient presque systématiquement des amis. Aussi, les tribus se sont appropriées certaines fêtes importantes du calendrier pour lesquelles les amis prévalent de plus en plus sur la famille. Le cas le plus flagrant : la veille du jour de l'an.

C'est avec ce clan que nous consommons le plus de sport. Est-ce alors une façon de réïntégrer une sacralité dans ces familles adoptives et laïques ?

Le sport : laïc mais pas profane
Pour se convaincre de l'existence de cette sacralité laïque (puisque nous ne sommes pas à un oxymoron près), nous n'avons qu'à voir la vénération des trophées et médailles. Aussi, les lieux deviennent des sanctuaires. Pour les grands amateurs de baseball, Fenway Park c'est le Temple. Feu-Le Forum de Montréal était celui du hockey. Certains stade de foot représentent La Mecque pour les partisans. Suis-je le seul à avoir ressentit un inconfort en entrant dans un stade-sanctuaire pour aller assister à autre chose que le sport vénéré ? Un concert rock n'est-il pas trop profane pour être tenu à Fenway ?

Ainsi, le sport réintroduit une certaine sacralité en plongeant des communauté
s nouvelles et sans historique dans la création de nouveaux rites. Comme le sport est religion neutral, il est le plus petit dénominateur commun et contribue à se débarasser de la gangue religieuse en s'émancipant du "sacré officiel" (religion, morale, patrie) (3)

Un nouveau rempart ?
Quand l'être humain était incapable d'expliquer le monde qui l'entourait, il n'avait pas trop le choix de s'en remettre à un pouvoir suprême. Jared Diamond propose également que les sociétés dont la survie dépendait du climat (agriculture unitaire) s'en remettaient à la seule force qui avait une influence sur la météo : Dieu. Cette religion, avec des préceptes comme « les premiers seront les derniers » contribuait à expliquer l'injustice d'une saison défavorable et les inégalités de la vie en société (grandissantes avec l'arrivée de l'agriculture).

L'amateur de sport moderne trouve un nouveau rempart face aux inégalités sociales de toutes sortes : le spectacle sportif propose une concurrence supposée pure entre deux adversaires qui partent à armes égales. (4) C'est cette égalité devant le sport qui nous permet de tolérer une nouvelle hiérarchisation des gagnants et des perdants, de nouvelles rivalités, alors que la plupart des gens mentionnent souffrir d'une pression à performer, d'une trop grande compétition dans leur vie courante.

Le besoin d'égalité des chances : le dopage et la superstition

Cet aspect est central dans la religiosité du sport : Tous égaux devant les nouveaux dieux. Sans cette égalité des chances au départ, le sport n'a aucun intérêt. Ni pour le participant, ni pour le spectateur. C'est même le moment magique où les protagonistes conjureront le sort et briserons cette égalité initiale qui nous intéresse... Avez-vous déjà tenter de regarder un match en reprise alors que vous connaissiez la marque finale ? Aussi, prendre connaissance du score dans le journal nous donne des nouvelles de notre équipe favorite, mais ne nous permet ni de bâtir notre appartenance au groupe, ni de fêter ou de pleurer la rupture de cette égalité des chance...

Toute atteinte à l'égalité est perçue comme une atteinte à l'intégrité du sport. Comment expliquer sinon notre dégoût face aux champions dopés ? Que comprendre des équipes perdantes et de leurs partisants qui se hissent contre l'arbitrage dans la défaite ?

Dans ce contexte, la performance et la chance feront la différence. C'est sans doute ce besoin de chance qui pousse les athlètes de tous les niveaux à la superstition et aux rituels sacrés dans la pratique de leur discipline. La barbe des séries, le tshirt fétiche, embrasser la pelouse après un but, parler à ses poteaux sont autant de processions
semi-ostentatoires (question de montrer qu'on est pieux) qui cherchent à s'attirer la chance, la faveur du destin. La superstition est au sport ce que la prière est à la religion.

Le rôle du sport
En plus de représenter le culte du corps qui a peu à peu surplanté l'âme ou la morale avec la laïcisation de nos sociétés, le sport a pour fonctions de bâtir les communautés (en offrant des traditions), de contribuer à l'appartenance et à l'identité (en réintroduisant des rituels différenciant les groupes) et de conjurer les inégalités sociales (en mettant en scène un idéal égalitaire). Trois fonctions qui, encore hier, étaient prises en charge par l'Église.

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Prochain post : le sport professionnel, l'argent, l'appartenance et la réappropriation populaire des sports.

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(1) TURPIN, Jean-Philippe – Le sport : une religion décadente Corps et Culture [disponible ici]
(2) LE POGAM, Yves –
Rites du sport et générativité du social – Corps et Culture [disponible ici]
(3) LEIRIS Michel
– Le sacré dans la vie quotidienne – 1979
(4) Le Football nouvelle religion planétaire ?