Dans son livre Futureshop, Daniel Nissanoff propose une idée assez intéressante : la pénétration croissante de eBay et les technologies améliorant la performance des marchés de revente, nous sommes de plus en plus enclin à considérer la valeur résiduelle de nos biens lors de leur choix. C'était déjà le cas dans des industries reconnues pour la valeur du bien usagé (voiture, équipement de sport, etc.) mais ce n'était pas répandu dans le domaine de la mode, des vêtements, des gadgets...
One man's trash is another man's treasure
Ainsi selon la tendance (qui, avouons-le, rejoint les jeunes urbains professionnels aisés financièrement), nous entrerions dans notre calcul et nos choix de consommation la valeur résiduelle d'un bien. Comme le monde de l'automobile nous a habitué à être un "propriétaire-locataire", nous sommes maintenant prêt à appliquer la même équation à nos autres achats.
Prenons un cas hypothétique d'achat de sac à main : la demoiselle à la recherche d'un accessoire de mode lui permettant de véhiculer son statut peut donc opter pour deux types de possession...
- Traditionnelle : Évaluer son budget et déterminer le montant qu'elle est prête à attribuer au sac à main. (Supposons 300 $) Choisir le sac à main qui lui rapportera le plus de bons mots et de standing pour ce montant (faite votre propre choix).
- Futureshopienne : Estimer la durée moyenne de ses sacs à main – pas tant celle de la durabilité du produit, mais bien la fréquence à laquelle elle sent un envie irrésistible de le changer (Disons un an). Ensuite, regarder quel est le meilleur sac à main qui perdra cette valeur pendant cette période (Disons un super Vuitton acheté 900 $ et revendu 600 $ un an après) *Il ne faut pas oublier la capacité d'acquisition.
Bon, je ne suis pas un spécialiste en sac à main, alors je n'ai vérifié que sommairement les valeurs des sacs neufs et usagés sur
eLuxury et
eBay, mais le propos demeure le même : de plus en plus de gens aîsés profitent de ce calcul pour augmenter (
trading up) la valeur de certains biens en les possédant de façon temporaire. Il s'agit bien du même mécanisme qui permet de louer un véhicule haut de gamme pour la même mentualité que l'achat d'une automobile intermédiaire.
Le retour à la durabilité
C'est bien connu, les électroménagers d'antan avaient des durées de vie impressionnantes... Comment ce fait-il que la technologie et les matériaux s'améliorent sans cesse, mais* que les électroménagers et une partie importante de nos produits domestiques perdent en durée de vie ? Et bien, nous ne sommes pas prêts à mettre la valeur que certains de nos parents et grand-parents attribuaient à leur réfrigérateur... Sans croire que la majorité d'entre-nous allons se mettre à vendre nos réfrigérateurs sur eBay, il demeure que l'ensemble de nos calculs de valeur recommencera à considérer la durabilité. Est-il possible de faire une montre qui aura l'air presque neuve après un an d'utilisation ? Si oui, c'est une valuer ajoutée significative au produit dans le contexte de la propriété temporaire.
L'accélération du cycle de remplacement Le fait d'amoindrir la facture d'adoption d'une nouvelle génération de technologie contribuera à accélérer le cycle individuel de remplacement. Ainsi, je peux changer du iPod 30gig au 80gig, puis au 160gig, puis au suivant beaucoup plus rapidement en utilisant la valeur résiduelle de l'appareil précédent comme mise de fond sur le suivant. Cette réalité vient démocratiser le groupe des "
early adopters", la cible primaire des entreprises tentant de rentabiliser rapidement leurs investissements en R&D. Cette démocratisation vers les autres groupes (les "
early followers" par exemple) sera également marquée, grâce à la disponibilité d'une tonne de biens usagés.
L'enjeu de l'appartenanceUne excellente publicité de Ikea mentionnait : « Si vous pleurez pour cette lampe, c'est que vous êtes fou » attaquant l'appartenance que nous avons avec certains de nos biens. Pourquoi tenons-nous à posséder certains objets ? Pourquoi achetons-nous certains livres que nous pourrions facilement emprunter à un collègue ou même à la bibliothèque ?
Une génération de sociologues et anthropologues mentionnent que nous bâtissons notre identité à travers nos possessions, que nous créons notre personnalité étendue (extended self) avec ceux-ci et leurs images. Face à cette nouvelle réalité de possession temporaire, allons-nous être capable de rationaliser nos possessions et de se détacher de biens que nous avons aimé ?
Pourquoi hésitons-nous à jeter une vieille collection que nous n'avons pas entretenue depuis des années ? Pourquoi sommes-nous incapables de se départir de certains objets aujourd'hui inutiles et poussiéreux ?
Puisque notre identité change plus à notre époque qu'auparavant, est-il possible que nous soyons aujourd'hui prêts à louer notre identité ? Si oui, c'est mauvais présage pour l'industrie du tatouage permanent...