Pub: divertissement nécessaire
Cette réflexion nait d'une observation toute simple: j'écoutais une émission sur demande via mon service de télévision numérique, et j'ai constaté qu'il ne restait plus qu'une seule publicité par pause.
Ça peut sembler anodin, mais c'est quand même une orientation stratégique qui prend la capacité de zapper de l'auditeur en ligne de compte. Les annonceurs ont bien tenté d'être plus divertissants, mais jamais les télédiffuseurs ont eux-mêmes accusé réception de la nouvelle réalité : le support numérique est flexible, peu importe les moyens mis en oeuvre, les auditeurs trouveront des modes de piratage et de contournement de la publicité.
Moins de pubs, plus d'écoute
Cette modification est tellement efficace qu'à plusieurs reprises j'ai préféré écouter la pub que de trouver la télécommande (évidemment embourrée dans les cracs du sofa), appuyer sur l'avance rapide pour sauver 30 sec. et me battre avec elle pour revenir à mon émission sans manquer le retour de la pause. Pour 2 min, tout ça en vaut la peine, pour 30 sec., moins. Bravo...
Un changement de philosophie
La publicité a été depuis ses débuts (en tout cas en Amérique) bâtie dans la répétition. On a longtemps cru qu'en deçà de trois expositions, il s'agissait d'une perte d'argent brute. Merci à des géants comme Albert Lasker et Claude Hopkins, la publicité des années folles était scientifique et devait répondre à des règles établies. La théorie de Scientific Advertising (les règles de Hopkins sont disponibles ici)* établissait des règles strictes du type :
- Du tiers à la moitié du budget d’une campagne est consacrée au pouvoir de l’image ;
Il faut attendre à l'explosion créative de notre industrie, menée par Berbach et ses émules dans les années 60 pour voir apparaître (parfois avec un peu d'excès) l'évaluation qualitative des concepts publicitaires. Nous sommes présentement dans une phase de retour du balancier après les abus de la décennie précédente et les groupes de discussion sont redevenus rois et maîtres. Quand un brand manager avec un MbA et un salaire astronomique ne sait pas quoi faire pour gagner des parts de marchés, il demande à huit parfaits incompétents en marketing de prendre la décision à sa place, pour 100 $ chacun et quelques cafés gratuits. (Je crois en la recherche marketing lorsqu'elle est orientée à chercher des insights et non à déresponsabiliser les décideurs).
La télécommande : premier pas vers le contrôle de l'usager
Non seulement le spectateur a-t-il le choix de zapper la pub, mais en plus les outils technologiques se multiplient pour le rendre encore plus efficace dans sa tâche : TiVo, PVR, DVR, sans parler des applications PC, Linux en tête. Dire que bientôt les annonceurs devront rivaliser de pertinence pour ne pas passer au tordeur du contrôle numérique est un euphémisme. À quand une télévision qui comprendra mieux qui est l'auditeur et lui proposera des publicités adaptées à ses goûts et préférences ? Donc on peut regarder la même émission et recevoir des publicités différentes ? Si elles sont plus pertinentes, serais-je plus enclin à regarder la pub ? À m'identifier pour que les critères de sélection des messages s'améliorent ?
Et le côté Big Brother me direz-vous ? Amazon.ca m'offre déjà une foule de suggestions de livres qui sont ni plus ni moins des publicités flexibles sélectionnées sur la base de mon comportement antérieur et, vous savez quoi, j'aime mieux ça que de me voir pistonner une foule de livres parfaitement adaptés aux goûts de ma tante Ginette.
Madison + Vine
De plus en plus de professionnels du milieu s'entendent pour dire que l'avenir passe par une écoute volontaire des publicités. L'éditeur d'Advertising Age, Scott Donaton a matérialisé le concept de la rencontre nécessaire entre le divertissement et la publicité par l'expression Madison+Vine, le carrefour du boulevard newyorkais des agences de publicité et de l'avenue des studios hollywoodiens. Depuis une chronique sur le site de AdAge, une section dédiée à M+V, en passant par un livre et un blog, Donaton se fait le hérautde cette fusion à valeur ajoutée.
On semble s'être rappeller très récemment que E.T. a fait exploser les ventes de Reese's en 1982 et que les SoapOpera tirent leur nom du placement de produit ménager dès l'aube de la télévision. Si bien que Donaton n'est plus seul, mais on dirait que les exemples moderne de croisement entre la pub et le divertissement sont toujours les mêmes. En effet, depuis plusieurs années on nous repasse le cas des vidéos de BMW. Pourquoi est-ce si difficile d'en trouver d'autre ? Les Trojan Games peut-être ? Le vidéo d'Axe ? Peut-être parce que le ROI de ce type d'opération est difficile à établir ?
L'autre raison, c'est que les exemples les plus probants de cette nouvelle réalité ne sortent ni des départements marketing, ni des agences. Ils viennent des consommateurs eux-mêmes. Des Mentos dans le Coke, en passant par les Têtes à claque, sans oublier tous les spoofs publicitaires disponibles sur YouTube ce sont les « usagers » qui fournissent le contenu et le divertissement. Plus que jamais l'adage rappelant que « votre marque ce n'est pas ce que vous dites, mais bien ce que les consomateurs disent de vous » prend tout son sens.
Les agences et clients s'adaptent
Quand le libre marché impose sa loi au contenu, les défenseurs du système n'ont pas trop le choix de s'adapter. L'offre ne peut plus être poussé indumment. La demande commence à compter et les nouvelles offensives doivent suscuter un intérêt pour éviter le zapping.
L'évolution est commencée... c'est une belle période pour faire de la pub. Les contenus se fondent et la création est media neutral, pour reprendre un buzzword de l'industrie. L'information la plus complète sur ce genre d'offensive à contenu intéressant se trouve sur la toile... Plusieurs blogues recensent les meilleurs (et certains les pires) actions, de part le monde, et en donnent leur appréciation : Vlan, le blog du marketing alternatif, the hidden persuader, the advertainment agency, et combien d'autres...
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* Une traduction française de Scientific Advertising est offerte ici par le blogue de Fabrice Retailleau