jeudi 28 juin 2007

La collection : le luxe des moins nantis

[Note du blogueur : Ce post est un peu plus académique, on prend notre souffle... on y va]


Je poursuis ma réflexion sur l'essor des produits de luxe et je la croise avec mon intérêt pour le phénomène de collection. Et si la collection était une consommation de luxe ?

« Because it involves hunting, searching, or shopping for unique useless objects, collecting is a form of materialistic luxury consumption par excellence [en francais dans le texte original] » Russell W. Belk¹


D'après les estimés, dans les pays occidentaux, une personne sur trois collectionne quelque chose.² [NDB: Si vous trouvez la statistique pour le Québec ou le Canada, merci de me l'envoyer.] Plusieurs d'entre-eux justifient l'achat d'un item dans leur collection par la valeur marchande de leurs nouvelles acquisitions. Cette justification ne passe pas la rampe de l'analyse fonctionnelle et on peut conclure qu'il s'agit d'une auto-légitimation puisque la grande majorité des collectionneurs ne se départissent jamais de leurs joyaux. Il s'agit donc de la même auto-justification que les consommateurs de biens de luxe. J'ai eu ce sac à main / ce téléviseur / ce stylo pour x $ alors qu'il en vaut y.

Belk, le père incontesté de la recherche ethnographique sur le sujet de la collection, ajoute également que « Because collecting is a competitive activity linked to pestige and feelings of competence, there is always something just out of reach that seems infinitely desirable to the collector³. » Cette façon de voir la collection est totalement en lien avec les motivations observées de la consommation des produits de luxe : consommation compétitive, assouvissement du désir et expertise (connoisseurship).

Une lutte avec soit même...
Il y a plusieurs similitudes entre les collectionneurs et les acheteurs de produits de luxe. La notion de plaisir coupable, de relations fantaisistes aux objets et d'indulgence (j'achète celà parce que je le mérite bien) sont très semblables. Un type de culpabilité connue des « acheteurs compulsifs »⁴Aussi, une relative tendance à se déresponsabiliser par rapport à sa consommation : je n0'avais pas le choix; c'est plus fort que moi; c'est une obsession. Le fait que les collections soient socialement acceptables permet aux collectionneurs de se déresponsabiliser sans s'exposer à l'ostracisme souffert par les alcooliques ou les joueurs compulsifs.⁵

Les collections ne naissent pas toutes égales
Alors qu'un riche collectionnant les oeuvres d'art est bien perçu socialement, un moins bien nanti accordant une part de son budget, déjà trop serré, à une collection de BD ou de chats en porcelaine sera perçu comme irrresponsable (moins qu'un alcoolo ou qu'un gambler). Comment nous posons-nous en juge de la valeur d'une collection ? Qui a décidé de la supériorité de l'art sur l'artisanat ? Pourquoi une collection de timbres serait-elle supérieure à une collection exaustive de bouteilles de bière ? Et si le collectionneur de bouteilles a bu chacune de ses bières dans son pays d'origine, lors de voyages autour du monde, est-ce plus noble ? (Nous reviendrons sur la règle procédurale plus loin).

Des passions différentes
Les sujets de collection sont très différents en fonction du sexe du collectionneur. Les relations d'opposition H/F suivantes ont été observées: géant/miniature, fort/fragile, machine/nature, science/art, fonctionnel/decoratif, inanimé/animé, etc.⁶ Ces divergences trouvent écho dans les "modèles" homme-femme généralement admis. La collection (et consommation de luxe) sert à l'individu à se définir et à s'exprimer. Les consommateurs tentent de dépeindre une image d'eux-mêmes par leur choix de biens, il en va de paire pour les collectionneurs. Il est naturel alors d'exprimer une personalité répondant aux stéréotypes de la société qui nous entoure.
* Dans une approche actuelle de la construction identitaire, il serait intéressant de voir comment les outils interactifs et les mondes virtuels (i.e. Second Life) peuvent remplacer ces fonctions. Est-ce qu'on collectionne le linge et les objets dans Second Life ? Est-ce qu'on collectionne les amis sur Facebook ?

La série: un objet unique comme les autres
Pour faire partie d'une collection, l'objet doit trouver la majorité de sa valeur dans sa relation aux autres objets de la série. Par opposition à une montre ou un sac à main qui pourraient être les seuls objets de luxe possédés sans perdre leur contexte et leur valeur, les items d'une collection n'ont d'intérêt que par leur regroupement. C'est à dire qu'une bouteille de Château Margaux 1989 pourrait avoir une valeur aussi importante pour un collectionneur de Bourgogne, un collectionneur de millésimes 1989 (?!?) et même un collection de vin rouge en général, par contre la valeur donner par un simple consommateur cherchant une bonne bouteille pour la boire sera probablement moindre.

La rareté : complexe et mise à mal
La pierre angulaire de la collection et de la consommation d'objets de luxe réside dans la rareté. C'est aussi une des raisons pour laquelle on a tendance à discriminer les collections de babioles au détriment de l'art. Alors qu'ils s'en produit des millions de différents par année, peut-on collectionner les crayons avec autant de ferveur que les tableaux d'art ?

Au cours des 50 dernières années, plusieurs philosophes et chercheurs postmodernes ont jonglé avec la notion de rareté à l'air du produit sériel. Une des syntèses: la règle procédurale selon laquelle c'est la façon d'acquérir l'objet qui lui donne de la valeur pour le collectionneur. Dans ce contexte, est-ce qu'un vendeur qui collectionne les stylos avec lesquels ils signent des contrats de plus de un million rend une collection de crayons plus nobles ? Ça nous ramène au globe-trotteur collectionnant les bouteilles de bière.

La notion de rareté souffre des très nombreuses et croisantes contrefaçons (luxe) et de la reproductivité facile de certains items (collection). Sans oublier la mise en marché de produits destinés à la collection : le prêt-à-collectionner (ou instant collectible) Dans ce contexte, c'est toute la notion de l'original qui est remis en question.

Prochain post : l'importance de l'original dans la collection.



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¹BELK, Russell W. –
Collecting as luxury cnsumption: Effects on individuals and households Journal of Economic Psychology (1995)
² BELK, Russell W. – Collecting in a Consumer Society édité par Susan Pearce (2001).
³ BELK (1995) op cit.
⁴O'GUIN & FABER –
Compulsive buying: A phenomenological exploration Journal of Consumer Research (1989)
⁵ Encore BELK (1995)
⁶ BELK et al. –
Collecting in a Consumer Culture – 1991 in Highways and Buyways : Naturalistic Research From the Consumer Behavior Odyssey; Provo. UT: Association for Consumer Research (Disponible ici)

mercredi 20 juin 2007

New Luxury et masstige: la polarisation de notre consommation.

Je complète à peine ma lecture de Treasure Hunt de Mickael Silverstein et je trouve son idée de base intéressante. Le marché, toutes catégories confondues, serait en train de se polariser. Ainsi les segments haut-de-gamme et à rabais sont en forte croissance. Pendant ce temps, les produits qui ne sont ni la gamme d'entrée, ni de luxe, perdent du terrain. Ce que l'auteur qualifie un peu fortement de death in the middle.

L'auteur est clair : cette observation est une tendance et elle mérite qu'on rapelle que le marché des produits milieu de gamme est toujours le plus important et que la forte majorité des entreprises y tirent la majorité de leurs revenus.

Pourquoi une polarisation dans un marché toujours plus diversifié ?
La raison primaire réside dans la perception de parité des produits. Les consommateur (tous autant que nous sommes) voient de moins en moins de différences entre la qualité technique, la durabilité, la performance de la plupart de ses produits courants. Les catégories où nous sommes capables de faire la différence sont celles pour lesquelles nous opterons pour un trade up, c'est à dire un surinvestissement pour obtenir un produit de meilleure qualité.
Le marché a répondu à cette demande en rendant plus accessible des produits de
luxe à la portée de (presque) toutes les bourses. C'est dans les années 80 que les marques ont remplacé les signatures et qu'est né le concept de « masstige »: les produits prestige accessible au mass market. Le coup d'envoi de cette tendance est associé à cette campagne de publicité où Karl Lagerfeld (ici) et Sonia Rykiel posait pour la marque populaire kookaï

Une explication démographique...
Une autre des explications réside dans la répartition de moins en moins égale de la richesse.

Le nombre de Canadiens valant plus de 1 millions de dollars (résidence principale exclue) a bondi de 7,2 % pour l'année 2005 seulement, et le club select canadien des très riches comprend maintenant plus de 230 000 personnes.² Ce qui ouvre la porte à une augmentation des dollars investis dans les produits de luxe.

Mais ceci n'explique pas pourquoi on trouve de plus en plus de Volvo dans les stationnements de Dollorama...

Mon cool est plus cool que le tien...
Le facteur démographique ne pouvant expliquer à lui seul cette tendance, il y a une question de choix de consommation. La tendance attendue au retour aux valeurs importantes (idée assez répandue au milieu des années 80) ne s'est pas passée. L'individualisme et le culte de l'ascension sociale ont encouragé les produits de luxe à se diversifier. Nous sommes valorisés et obtenons un certain prestige par l'acquisition et la possession d'objets de mode, de gadgets à la fine-pointe, de vêtements signés, de produits de luxe, etc. Mais pour se permettre ces « petites folies », il faut bien couper quelque part. Et comme nous détestons nous priver, souvent nous opterons pour un trade down, une économie sur un produit de moindre importance en achetant l'entrée de gamme. Les propriétaires de Volvo qui vont au Dollorama ont simplement choisi une répartition différente de leurs dépenses. Au lieu de consommer moins, de choisir plus simplement, le marché a continué et poussé plus loin la comsommation compétitive. Le très dérangeant Rebel Sell nous rappelle à quel point nous voulons nous démarquer par notre consommation et met le doigt sur le cercle vicieux du consumérisme. Si personne n'achetait de voiture de plus de 40 000 $, jamais il ne nous viendrait le besoin d'en posséder une. Nous sommes tous un peu un voisin gonflable.

Par ce que je le mérite...

Sans oublier que dans un monde de plus en plus stressant et où le temps est une denrée rare pour les néo-riches, l'indulgence est une motivation de consommation. Depuis le Starbucks quotidien jusqu'aux soins pour le corps, en passant pas le "shopping therapy", toutes les raisons sont bonnes pour se donner le droit à cette petite dépense qui nous fait plaisir. Et comme le luxe est relatif à la consommation courante, les choix seront fait en fonction du porte-feuille et des goûts de chacun. Un même restaurant peut représenter une cafétéria pour quelqu'un et une sortie importante pour quelqu'un d'autre.

Ces réalités, en plus d'une meilleure compréhension des motivations ayant servies à des marques comme Starbucks et Häaggen-Dazs à s'approprier le marché des produits courants luxueux, ont entraîné un déferlement d'articles et l'intérêt des marketers sur le sujet. Starbucks, early on, recognized that while not everyone can afford to go to Tiffany's, they can enjoy the small indulgence of a grande nonfat latte.³

Du statut à l'ostentatoire
L'arrivée d'Internet, entre autre eBay et eLuxury, a fait exploser l'offre de produits luxueux et diminue largement l'importance de l'expérience lors de leur achat pour de nombreux consommateurs. Les marques premium doivent trouver une façon de maintenir leur parfum d'exclusivité face l'omniprésence du Web pour éviter l'érosion de ce que plusieurs nomment 'the rarity principle'

«To maintain their dream value and avoid the risk of commoditization, luxury brands must be desired by all... but consumed only by the happy few.»
Craven & Read - Emerald Management

En plus de ce nouveau mode de distribution qui rend les produits luxueux plus accessibles que jamais, la contrefaçon vient s'additionner à la demande. D'après certaines évaluations, les "copies" représenteraient entre 5 et 7 % des ventes mondiales.

Dans ce contexte, les marques de luxe traditionnelles cherchent à assurer leur pertinence en poussant encore plus loin l'expérience de prestige qu'on peut vivre dans leur boutique et les signes distinctifs d'un produit original. Et plusieurs émules de Starbucks cherchent à se faire une place dans le marché des petites indulgences.



¹ Luxury, just live it - BrandChannel.com
² D'après les propos de Dennis Pickett, CEO Amex Canada in Rich Reward - Marketing Magazine
³ Why Up-Branding is Here to Stay - Ad Age - 28 mai 2007 (réservé aux abonnés)
Online Luxury for the Masses - BrandChannel.com

lundi 18 juin 2007

La Buzzmenclature : Comment donner un territoire à une idée.

Dans ma lecture matinale du papier de BrandChannel, j'ai été confronté à un nouveau et succulent buzzword. Après la blogosphere (aussi connue antérieurement sous le nom de blogspace), voici maintenant la «tubosphere». Tout nouveau, tout frais, le terme n'a pas encore, comme «blogosphere», une présence sur wikipedia, 20 millions de pages répertoriées par google et des statistiques de recensement.Assez pour s'en rendre malade.

Le secteur du web est une terre fertile en buzzwords. Du User Generated Content (UGC) en passant par le web-un chiffre-point-zéro (plus le chiffre est élevé, plus vous essayez de communiquer que vous êtes à la page), sans oublier le word-of-mouse et les click-and-mortars (tellement 2004!?!). Allez voir à cet effet le très divertissant Web Economy Bullshit Generator.

Tous ces néologismes servent essentiellement à la même chose: le branding du consultant qui les présente. L'utilisation de buzzwords est très souvent l'adage de compagnies qui essaient de différencier leur offre et de se donner une valeur dans un marché encombré de consultants de toutes sortes. Dans cette perspective, les buzzwords ne visent pas tellement à définir des concepts clairs autant qu'à rendre un discours séduisant. Plusieurs s'entendent pour dire qu'ils servent essentiellement à impressionner, à user habillement de la langue de bois.

L'amour des marketers
Ces buzzwords circulent en étant rarement remis en cause dans les agences de publicité et chez plusieurs de leurs clients (seule résistance le Buzzword ou Bullshit Bingo). Les néologismes ne sont ni réservés au royaume de la technologie pas plus qu'aux concepts abstraits autrement impossibles à expliquer. On peut voir apparaître quotidiennement des mots tels aspirationnel, Lovemark, influenceurs, et tout une série d'acronymes en quête de nouveaux territoires menant au nirvana de la vente au détail : des classiques USP et USL jusqu'aux plus actuels OWE (one word equity)*, VBB (value based brand)... et maintenant la "tubosphère".

En contrepartie, on ne peut pas dire que les buzzwords se retrouvent seulement dans le monde du marketing. Les médias colportent leur part importante de néologismes ou mettent à la mode des mots clés qui deviennent porteurs d'un courant de pensée X et qui contribuent à la compréhension (même sommaire) d'une idée et à sa re-distribution. Souvent les buzzwords séparent les gens qui sont in the known des autres. Des armes de destruction massive au Omega-3 en passant par les Bobos (bourgeois bohême), tout ce qui se nomme gagne de l'importance dans les médias. Les mots originaux et séduisants attirent l'attention et quoi de mieux pour attirer le regard des journalistes que de se positionner comme une nouvelle tendance.

Leur utilité
Quand ils ne servent pas tout simplement à faire un show de boucane devant des clients prospects, auditeurs de conférences, des étudiants attentifs (et peut-être même dans les 5@7), les buzzwords conservent la fonction de faire évoluer la pensée marketing. Comme dans n'importe secteur, les nouvelles idées bousculent les anciennes et le fait de pouvoir poser un mot sur les concepts permet de les partager... Les choses n'existent pas avant d'avoir un nom.

Il s'agit d'un excellent exemple de mise en marché des idées, à des fins de partage autant qu'à des fins commerciales. Les buzzwords sont plus que des modes, ils deviennent rétroactivement un portrait de la vie courante. Voyons avec quelle passion on tente de nommer les générations (Silencieuse, Beat, BabyBoomers maintenant devenu PapyBoomers, la génération Jones, les X, les Y, etc.), les courants de mode (Metal, Grunge, HipHop, etc.). Même les intellectuels les plus sérieux se réjouissent d'un débat sémantique sur la façon de nommer les époques (modernisme, postmodernisme, hypermodernisme, néostructuralisme, etc.).

En somme, les buzzwords ont la double fonction d'être un jargon qui sépare les initiés des autres et de donner une forme à des concepts nouveaux ou abstraits. Ils n'ont de valeur alors que les idées et concepts qu'ils représentent. Ne nous laissons pas endormir par la langue de bois.


***
Malgré tous les risques qu'il y a à verser dans le non-dit, le fuyant et l'insipide, certains penseurs et bloggeur (sûrement un autre buzzword) réussissent particulièrement bien la vulgarisation de concepts grâce à des néologismes et des idiomes évocateurs. Citons à titre d'exemple l'excellent Zero Seconde de Martin Lessard (l'un des blogs les plus référencés, et donc influents, d'après la définition généralement admise).

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* Popularisé par les Saatchi

mercredi 13 juin 2007

La construction identitaire par l'objet

Dans mon dernier message, je touchais le sujet de la construction identitaire. J'ai également relaté rapidement mon passage à Boston, où nous nous intéressions particulièrement au rôle de la consommation et de l’objet dans cette construction identitaire. Alors que le marketing ethnique est plus souvent qu’autrement considéré dans le but de rejoindre des minorités au sein d’un groupe, la Saint-Patrick se démarque par sa popularité et le fait qu’elle s’adresse à la majorité. Comme ce festival est pour beaucoup de Bostonais une célébration identitaire temporaire, il est intéressant de comprendre comment les objets contribuent à ce sentiment habituellement occulté.


Le mécanisme…
Pour soutenir sa popularité, la Saint-Patrick est largement vendue aux non-Irlandais, ce qui rend la « mise en boîte » de la culture indispensable. Des trèfles aux farfadets, en passant par les représentations de St. Patrick, plusieurs artefacts de la culture irlandaise sont probablement aussi risibles pour les Irlandais que ne le seraient pour nous, les amérindiens, la police montée et les ours polaires. Mais, ce sont les archétypes que nous retrouvons dans la parade, les magasins de décoration en papier et bien sûr les pubs (qui s’approvisionnent sans doute dans ces mêmes magasins épargnes). Ces images sont le plus petit dénominateur commun de tous les gens se reconnaissant une identité irlandaise ou ayant un regard sympatique à son endroit.

Les objets que l’on retrouvent dans ces magasins sont sujets à la loi de l’offre et de la demande. Dans cette perspective, la consommation devient un mécanisme de négociation tacite entre les différents intervenants et chiens de garde de l’identité irlandaise.

Les objets : des badges
L’utilisation d’objets à saveur culturelle (bière verte, corned beaf, vêtements verts, bibelots, etc.) permet à quiconque voulant intégrer les célébrations de la Saint-Patrick d’accéder facilement au statut de participant. Ce packaging tangible fait donc partie intégrante de la construction du modèle culturel nécessaire au sentiment d’appartenance recherché. Ce catalyseur permet entre autre à des participants de se reconnaître et de se rapprocher plus facilement. En ce sens, les tuques vertes ont la même fonction que le chandail du Canadiens de Montréal pendant les séries de la Coupe Stanley, que les costumes pendant Burning Man, que les glowsticks pendant le Bal en Blanc.

De l’ethnicité imposée à l’identité choisie.
De plus en plus de penseurs s’accordent sur la nature choisie de l’ethnicité (comme du genre, de l’appartenance religieuse, etc.). Dans cette perspective, les objets deviennent une façon de se conformer aux codes et d’être reconnu comme appartenant à un groupe. Un habitant solitaire d’une île déserte n’a aucun besoin d’identité ethnique, l’ethnicité est ancrée dans un rapport nous/eux. C’est pourquoi les signes ostantatoires et la reconnaissance des pairs est aussi importante. Il s'agit d'une motivation très puissante qui, au-delà des fêtes, peut représenter un ancrage marketing et communicationnel fort.

vendredi 8 juin 2007

Les parades : le besoin de crier notre différence


Jeudi, j'ai assisté à la parade d'ouverture du Festival St-Ambroise (discret placement de produit) FRINGE. C'est, pour dire le moins, un festival hétéroclythe. Le site web de l'événement explique la prémisse comme suit :

«Les artistes du Fringe sont sélectionnés par une loterie aléatoire, sans critère de contenu ou de qualité. Certains spectacles peuvent être un peu crus, d’autres très bien cuits, et d’autres encore, difficiles à avaler… »
On nous en promet pour tous les goûts et tous les styles. Dans les faits, la parade était un joyeux amalgame de burlesque, bizarre, libertin et de plusieurs curieux qui marchaient de concert avec le band de cornemuse. Il devient rapidement impossible de discerner entre les plus bizarres spectateurs et les plus normaux participants.

Notre différence en spectacle
Il m'apparaît intéressant de se questionner sur la motivation derrière toutes ces parades. Les uns disent célébrer et commémorer, les autres revendiquent, et certains encore veulent récupérer l'espace public.

Mais qu'en est-il ? Jeudi, nous avions bien affaire à une mise en scène de la "différence". La parade par essence se veut une représentation d'un groupe. Il s'agit de choisir qui sera mis en vitrine. Ce spectacle est plus souvent qu'autrement la représentation d'un idéal / d'un stéréotype que le portrait d'une réalité quelconque. Pensons seulement au Défilé de la fierté gaie ou à celui de la St-Patrick... Peut-on dire que les DragQueens soient l'élément le plus représentatif de la réalité homosexuelle ? Et les farfadets sont-ils vraiment Irlandais ? Pourquoi alors faire ces choix ?

Un travail ethnographique m'a amené à Boston pour étudier la construction de l'identité irlandaise pendant les festivités de la St-Patrick*. Cet épisode m'a permis de constater à quel point ces stéréotypes sont des raccourcis permettant de mieux partager une culture, de construire une identité en relation avec les autres:
«The system is one of shared meaning, which are continuously valorized and devalorised, according to the predetermined pattern of classification and ordering constructed by that particular collectivity»
- George Shöpflin (2001)
De façon générale, les auteurs s’entendent sur la nature construite de la culture et sur la façon dont la définition « authentique » ou traditionnelle d’une culture est sujette à un consensus social. L'utilisation des stéréotypes et symboles représente un "packaging" de la culture pour fin de partage. Ça devient un cri de raliement identitaire.

... et les marginaux ?
Cette construction identitaire prévaut également pour des sous-groupes marginaux. De l'orientation sexuelle au burlesque en passant par les marches de soutien à des groupes en marge, nous semblons assister à la même affirmation de la différence... doublée dans certains cas d'un rite de passage, un certain comming out.

Pourquoi est-ce populaire ?
Nous pouvons bien soulever l'importance du sentiment d'appartenance à un groupe (tribalisme) pour expliquer la motivation des gens à participer à une parade, même celles mettant en vitrine des aspects négatifs ou en marge de la société. Par contre, quelle est la motivation des spectateurs à aller assister à cette mise en scène ? Nous n’appartenons plus à notre paroisse, ni à notre ville natale (à cause de la mobilité), nous n’appartenons plus souvent non plus à notre groupe ethnique (pour la plupart)… le fait de pouvoir participer à un événement identitaire permet définitivement d’appartenir, même temporairement, à un groupe et d’épouser des visions différentes, des codes spécifiques, de briser la routine.

Nous reviendrons cette semaine sur le rôle de la consommation dans cette construction de l'appartenance...
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* Cette analyse a été réalisée de concert avec Thomas Allard, Alexandre Forest-Boucher et Nadia Uria Fernandez. Le rapport complet se retrouve ici. Notons que je n'ai aucune participation ou association dans ZesteDesign.


Shöpflin, George (2001) « The construction of identity »; Osterreichischer Wissenschaftstag