dimanche 29 avril 2007

Le Vintage... quoi et pourquoi ?


Terme surutilisé, omniprésent, galvaudé… Pire qu’un Buzz word, c’est un de ces mots où chacun a sa propre définition et pense que tous la partage. Si bien qu’il y a une grande confusion par rapport au terme vintage.

Mais qu’est-ce que le vintage, un objet peut-il être neuf et vintage ? Est-ce suffisant d’avoir l’air vieux pour être qualifié de vintage ? Est-ce qu’un objet vieux est automatiquement vintage ? Comment expliquer l’engouement des trend setter, puis l’adoption populaire de tout une série d’objets dit vintage ?

Venant à l’origine de l’univers des spiritueux et des portos, le mots vintage s’est peu à peu exporté à l’univers de la mode, de la décoration, du design, de la publicité, etc. La définition généralement admise est la suivante : « Se dit d'un vêtement, d'un accessoire, etc., des décennies précédentes, remis au goût du jour. » Cette remise au goût du jour est expliquée par le dictionnaire international de la mode : «Le terme vintage a fini par désigner tout un jeu d'apparences utilisant des vêtements anciens, du mélange de fripes et de vêtements neufs portés au quotidien jusqu'aux pièces exceptionnelles.»¹ Par extension, le mot s'est mis à désigner presque n'importe quoi qui avait un look vieillot, au grand dam des connaisseurs, "rockabilly", collectionneurs, anticaires, etc.

Ce qui est intéressant dans cette définition, c’est l’importance du mélange des genres. Il ne s’agit pas de trouver un objet d’époque pour avoir un style vintage, il faut également réussir à le marier avec goût. Un chandail de loup 1978, pas vintage. Un t-shirt de Labatt 50 que son père arborait fièrement avec un paquet de cigarette sur l’épaule, porté aujourd'hui avec un jeans actuel, vintage… Reste que l’objet ancien est indépendant par rapport aux autres ce qui en fait la vedette de l’agencement. Comme l’expliquait Baudrillard, « Dans la mesure […] où il présente une moindre relativité aux autres objets et se donne comme une totalité, comme présence authentique, il a un statut psychologique spécial. »² Cette non relativité de l’objet ancien est liée au fait qu’on ne veut pas en être propriétaire pour sa fonction ou son utilité, mais bien uniquement en raison qu’il est ancien.

Pourquoi préférer des objets vieux ?

Tout simplement parce qu’ils sont plus rares, plus difficiles à se procurer. Heat et Pother explique le concept de « consommation compétitive » dans l’excellent Nation of Rebels³.
« Most people spend the big money not on things that help them to fit in, but on things that allow them to stand out from the crowd. They spend their money on goods that confer distinction. People buy what makes them feel superior, whether by showing that they are cooler (nike shoes), better connected (Cuban cigars), better informerd (single-malt Scotch), more discerning (Sttarbucks espresso), morally superior (Body Shop cosmetics) or just plain richer (Louis Vutton bags). »⁴

Nous sommes en quelque sorte tous des voisins gonflables. Et les objets anciens, visiblement originaux, envoient le signal suivant : « je refuse la consommation de masse » et « je suis plus authentique que toi ». Ce symbolisme est au cœur de la thèse de Heat et Pother : « The critique of mass society has been one of the most powerful force driving consumerism for the past forty year. »⁵ Alors nous achetons des biens désuets, vieillots, surpassés par la valeur technique des biens actuels, et ce, à un prix souvent plus élevé. Pour Beaudrillard, il y a deux aspects dans la mythologie de l’objet ancien : la nostalgie des origines et l’obsession d’authenticité.⁶

Mais qu’est-ce qui est vraiment authentique ? La survie au temps semble être l’élément distinctif de l’authenticité vintage. Est-ce que cette survie au temps est suffisante ? Il faut aussi que l’objet soit marqué du sceau de l’authenticité. Celui qui fait que les connaisseurs reconnaissent sa valeur, et le statut de celui qui le porte, par le fait même. Le jeans Levi’s Big E, par exemple, en est un bon exemple. En 1971, la compagnie Levi’s décide de changer son logo pour mettre le désormais « e » minuscule. Dès lors, les jeans Levi’s comportant le logo antérieur sont reconnus comme plus authentiques, plus vrais. Mais les jeans Big "E" sont-ils plus vrais que des Levi's 2007 ? Est-ce que les jeans 1968 sont moins authentiques que les premiers 501 de 1890.⁷ L’authenticité est un point de fuite. Comme l’explique Stephen Brown :
« …there is no such thing as authenticity, only varying degrees of inauthenticity. The traditional Irish bar is assembled from mass produced, cod-Celtic kitsch. The free range chickens are free to range around a fetid factory farm. The classic blue jeans are pre-shrunk, pre-faded, pre-ripped, pre-grimed, and doubtlessly, pre-impregnated with pre-washday adolescent aromas. Authentic authenticity, so to speak, is unattainable. But it can be staged, it can be created, it can be evoked. »⁸

Les anthropologues, les sociologues et toute une génération d’artistes se sont questionnés sur l’authenticité, la copie, la valeur de l’objet sériel, du modèle, etc. Nous y reviendrons, c’est certain.

Nous pouvons donc conclure que la consommation vintage est soutenue par un sentiment de supériorité/de distinction venant de la reconnaissance que ces objets aux yeux des connaisseurs. Un Levi’s Big E qui perd son étiquette n’a plus aucune valeur, même s’il n’en devient pas moins authentique.

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¹ Dictionnaire international de la mode, éd. du Regard. Cit in blogg.org
² BAUDRILLARD, Jean; LE SYSTÈME DES OBJETS (1968) p. 91 ISBN 2-282-30093-9
³ HEATH, Joseph & POTTER, Andrew; NATION OF REBELS, Why Counterculture Became Consumer Culture (2004)
ISBN 0-06-074586-x
⁴ op cit. p. 103
⁵ op cit. p. 98
⁶ BAUDRILLARD (1968), op cit. p. 93
⁷ WATIN-AUGOUARD, Jean; PETITES HISTOIRES DE MARQUES (2003) p. 397
⁸ BROWN, Stephen; FREE GIFT INSIDE (2003) cit in Brand Autopsy